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et absolu, épris de la réflexion et du raisonnement, en doutant beaucoup de la raison et de la science humaine. Malgré les limites qu’elle pose à notre savoir légitime, la philosophie écossaise est un rationalisme solide et sensé qui calme et rassure l’esprit, qui raffermit les croyances sans sacrifier aux préjugés. Elle avait de plus, pour gagner le cœur de Royer-Collard, un trait particulier : on sait que, dans sa revue des systèmes sur le point qu’il tient pour fondamental, Reid ne fait grâce qu’au livre du grand Arnauld sur les vraies et les fausses idées. L’élève de Port-Royal devait être sensible à une pareille avance, et M. Royer-Collard devint ainsi le plus rigoureux interprète, avant que Hamilton n’eût éprit, de la philosophie d’Edimbourg. Elle fut pour cet esprit puissant, mais jusque-là errant et flottant, un fil conducteur dans l’étude et la méditation. Ses tendances libérales en toutes choses durent heureusement s’opposer aux tentations contraires qui assiégeaient une âme irritée ; elle donna à ces puissantes facultés ce dont elles avaient besoin, l’ordre dans l’étendue. De plus, en concentrant ses forces sur des problèmes déterminés, en se proposant un travail et un but, le nouveau philosophe connut et développa les ressources inconnues de son esprit ; puis vint la fondation de l’Université, qui fit d’un amateur de philosophie un professeur de philosophie, et, dans ce nouvel exercice de son intelligence, il apprit l’art d’exposer et de discuter, il découvrit définitivement en lui le talent d’écrire.

Maintenant récapitulons tout ce que la nature et les circonstances avaient fait de Royer-Collard au moment où la restauration l’introduisit décidément dans la sphère du gouvernement et sur la scène de l’histoire. C’était une nature forte, une âme haute, un esprit puissant. La vie de famille, la vie des champs, une éducation sévère, les exemples d’une piété austère et raisonnée, de solides études, le goût des mathématiques, la fréquentation de la magistrature, le contact avec l’ancien régime, la participation aux opinions, aux mœurs, aux affaires du Paris de 1789, le spectacle de la révolution, l’expérience des disgrâces de la politique, l’étude de la philosophie, l’art d’enseigner, d’écrire et de parler, voilà les causes diverses qui se réunirent pour former et préparer le personnage vénérable et singulier qui, en agissant si peu, a exercé pendant vingt ans une si grande influence sur son pays.


II

Nous nous sommes laissé aller à rappeler les souvenirs de la vie de Royer-Collard antérieure à 1814, afin de le mieux caractériser