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Et cependant il ne fut ni profond ni durable. Le 24 février peut n’être pas le plus réconfortant de nos souvenirs historiques ; mais on n’en saurait dire autant de l’année 1848. C’est l’année peut-être où la France s’est le plus montrée et où elle a le mieux su être quelque chose par elle-même, et cela sans attendre son gouvernement. Ce peuple même de vainqueurs par l’émeute, nourri de fausses doctrines et de mauvais conseils, ne s’est trouvé ni violent ni vindicatif. Un parti s’est aussitôt levé, et dans son propre sein, pour veiller à l’ordre, pour recommencer le règne de la loi. Enfin c’est par sa sagesse et son courage que la France a été sauvée. En huit mois, électeurs, gardes nationaux, soldats, représentans ont avec leurs seules forces constitué, soutenu, défendu un pouvoir réparateur et modéré. Jamais autant que dans cette épreuve la France ne s’est montrée plus digne et plus capable du self gouverment. Jamais plus qu’après avoir ainsi connu ses ressources elle n’aurait eu droit de s’enorgueillir, de compter sur elle-même et de se charger à ses risques et périls de ses propres destinées. Elle venait de prouver que le fardeau n’était pas trop fort pour ses épaules. Elle a douté d’elle-même au moment où elle aurait pu s’enthousiasmer de sa sagesse et s’enorgueillir de ses forces. L’exemple n’est pas rare que les hommes se troublent le plus du danger au moment où il s’évanouit, et désespèrent de leur salut lorsqu’ils y touchent.

C’est cette défiance de la nation envers sa raison et son courage, c’est cette incertitude sceptique sur tous les principes naguère acceptés pour articles de foi politique, c’est ce retour inquiet et brusque vers les maximes surannées de l’autorité telle qu’elle se concevait en 1700 ou en 1800 que l’on a appelé réaction, ou plutôt c’est là l’esprit réactionnaire qui a ramené et des doctrines et des pratiques que je ne me croyais pas réservé à jamais voir renaître.

Cependant, mieux que nos argumens, les faits ont commencé, sinon à convertir, du moins à modifier l’esprit de réaction. Que disait-il en effet, que cherchait-il à tout prix du temps qu’il s’est cru le maître, et qu’il raillait si dédaigneusement toutes les réclamations, toutes les aspirations de l’esprit libéral ? Par la voix de tous ces gens pacifiques qui voudraient imposer leur quiétisme à l’humanité entière, il accusait l’esprit révolutionnaire de pousser à la guerre un temps qui ne voulait que la paix, et dénonçait comme un anachronisme insensé l’idée d’un retour des nations aux jeux de la force et du hasard. Or qu’est-il arrivé ? Je raconte sans blâmer. En dix ans, nous avons vu deux grandes guerres. Les expéditions militaires se sont multipliées et se terminent à peine, et une vague inquiétude s’obstine à entendre des bruits d’armes dans les nuages orageux qui passent sur l’Europe. Vous rappelez-vous le temps où