Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/781

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
DE
L'ESPRIT DE REACTION

ROYER-COLLARD ET TOCQUEVILLE


La réaction touche-t-elle à sa fin, et, pour avoir entendu bruire la tribune et gronder la discussion, l’esprit de liberté commence-t-il à renaître et à soulever, comme un levain puissant, la masse de la nation ? Je voudrais le croire, et certes il est grand temps que la France redevienne elle-même et se reconnaisse pour la France libérale. Si cependant il fallait affirmer quelque chose et énoncer plus qu’une espérance, j’affirmerais peut-être le réveil de l’Europe plutôt que le réveil de la France.

Il faut bien le reconnaître, la crise de 1848 a plus abattu la France que l’Europe. Mainte nation est sortie de cette commune épreuve l’esprit plus animé, le cœur plus fier, éclairée plutôt qu’intimidée par l’expérience, encore pleine d’espoir et d’ambition. Il en paraît quelque chose à l’état du monde. Jamais de notre vie le vent de la révolution générale n’avait soufflé aussi fortement qu’à cette heure sur la société européenne. Jamais l’esprit de réforme et de nouveauté n’avait porté si loin et monté si haut. Jamais, depuis tantôt cinquante ans, le mouvement du siècle n’avait avec plus d’intensité et de succès gagné les peuples et les rois. Le langage s’est adouci, les allures se sont modifiées, l’opinion donne un autre tour à ses griefs et à ses exigences ; mais en menaçant moins elle obtient davantage, elle devient le mobile commun des gouvernemens et des sociétés. À quoi se réduit aujourd’hui dans toute l’Europe civilisée le territoire