Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/700

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans un pays aussi accidenté, où la situation, l’altitude, les influences climatériques font varier à l’infini les qualités de la terre, on comprend qu’il est difficile de fixer un prix de vente ou de location. La statistique officielle de 1846 porte la valeur vénale de l’hectare de terre arable à 600 francs et la valeur locative à 30 francs. Aujourd’hui le chemin de fer qui, traversant tout le Luxembourg, le relie au centre du pays, à l’Allemagne et à la France, les nombreuses et excellentes routes construites dans ces dernières années, la hausse des prix qui en est résultée pour tous les produits du sol sans exception, l’activité plus grande qui s’est emparée d’une population naturellement énergique et intelligente, toutes ces circonstances ont considérablement augmenté la valeur de la propriété foncière. Lorsqu’en exécution de la loi qui ordonne l’aliénation des communaux, on soumissionne pour obtenir une partie de landes, on peut s’attendre à la payer de 200 à 300 fr. l’hectare ; or la terre en culture doit valoir au moins trois ou quatre fois autant.

En résumé, la prédominance des bois et des pâtis, le long repos accordé au sol, le faible capital consacré à l’exploitation, la petitesse et l’aspect sauvage du bétail, le manque complet d’instrumens aratoires perfectionnés, les récoltes successives d’avoine demandées au même champ, tous les caractères de l’économie rurale de l’Ardenne montrent clairement combien elle est encore arriérée. Et néanmoins dans cette contrée ingrate, dont l’homme n’a pas même appris à faire valoir toutes les forces productives, les populations rurales jouissent d’une aisance beaucoup plus grande que dans les belles campagnes des Flandres si admirablement cultivées. On ne rencontre que rarement ici ces tempéramens lymphatiques, dus à une alimentation exclusivement végétale. Le paysan a le teint animé et chaud, la chair ferme, l’œil vif et la jambe nerveuse ; il est toujours bien vêtu et bien chaussé, et s’il élève un porc, ce n’est pas pour le vendre afin de payer sa rente, mais pour en manger le lard avec ses pommes de terre. La main-d’œuvre se paie cher : on n’obtient guère un journalier à moins de 1 fr. 75 cent, ou 2 fr., et encore à ce prix ne pourrait-on réunir un grand nombre d’ouvriers. En même temps que le salaire est élevé, les denrées sont à bon compte ; il y a donc double avantage pour celui qui doit vendre son travail et acheter sa nourriture. Les espaces vagues, les bruyères, les bois, le bord des torrens, permettent aux habitans de se procurer un peu de bois, de l’herbe, du genêt pour faire du fumier, mille ressources sans nom qui manquent aux pauvres là où, comme dans un jardin, tout est approprié et mis en culture. Grâce aux biens communaux, nul ne connaît les extrémités du dénûment absolu. Les coupes faites dans les forêts de la commune donnent à chaque famille des fagots pour chauffer l’âtre, et chacun peut louer à un prix