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Le piéton, charmé de cette aubaine, suivit Catherine. Jean-Claude l’interrogea, mais il n’apprit rien de nouveau, sinon que les alliés bloquaient Bitche, Lutzelstein, et qu’ils avaient perdu quelques centaines d’hommes en essayant de forcer le défilé du Graufthâl.


XVII.

Au milieu de la nuit, les gens de la ferme furent éveillés par un tumulte épouvantable. — Aux armes ! criait-on, aux armes ! — Hé ! par ici, mille tonnerres ! Ils arrivent ! — Cinq ou six coups de feu se suivirent, illuminant les vitres noires. — Aux armes ! aux armes ! — Les coups de fusil retentirent de nouveau. On allait, on venait, on courait. La voix de Hullin, sèche, vibrante, donnait des ordres. Bientôt à gauche de la ferme, bien loin, il y eut comme un pétillement sourd, profond, dans les gorges du Grosmann. — Louise, Louise, cria la vieille fermière, tu entends ?

— Oui !… Oh ! mon Dieu, c’est terrible !

— Habille-toi, mon enfant, habille-toi ! — Et les coups de fusil redoublaient, passant sur les vitres noires comme des éclairs. — Attention ! criait Materne.

On entendait aussi les hennissemens d’un cheval au dehors et le trépignement d’une foule de monde dans l’allée, dans la cour et devant la ferme. Tout à coup les coups de fusil partirent par les fenêtres de la salle qui était au-dessous. Les deux femmes, plus mortes que vives, ne trouvaient pas leurs vêtemens. La maison semblait ébranlée jusque dans ses fondemens. En ce moment un pas lourd fit crier l’escalier. La porte s’ouvrit d’un seul coup, et Hullin parut avec une lanterne, pâle, les cheveux ébouriffés, les joues frémissantes. — Habillez-vous vite ! s’écria-t-il ; il n’y a pas une minute à perdre.

— Que se passe-t-il donc ?

La fusillade se rapprochait. — Eh ! hurla Jean-Claude, est-ce que j’ai le temps de vous l’expliquer ?

La fermière comprit qu’il n’y avait qu’à obéir. Elle descendit l’escalier avec Louise. À la lueur des coups de feu, Catherine vit Materne, le cou nu, et son fils Kasper, tirant sur le seuil de l’allée, et dix autres derrière eux qui leur passaient les fusils, de sorte qu’ils n’avaient qu’à épauler et à faire feu. Toutes ces figures entassées, chargeant, armant, avançant le bras, avaient un aspect terrible. Trois ou quatre cadavres, affaissés contre le mur décrépit, ajoutaient à l’horreur du combat ; la fumée montait dans la masure. La pauvre Catherine, brisée par ces émotions, se prit à pleurer. Elle s’appuya sur l’épaule de Jean-Claude ; mais celui-ci l’enleva comme une plume et sortit en courant le long du mur à droite. Louise suivait