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jouissaient à l’idée de ne plus le revoir. Cependant, depuis quelques jours, Wetterhexe avait remarqué de l’agitation dans les gorges voisines ; les gens partaient en foule le fusil sur l’épaule du côté du Falkenstein et du Donon. Évidemment quelque chose d’extraordinaire se passait. La sorcière, se rappelant que l’année précédente Yégof avait raconté aux âmes des guerriers que ses armées innombrables allaient bientôt envahir le pays, éprouvait une vague inquiétude. Elle aurait bien voulu savoir d’où provenait cette agitation ; mais personne ne montait à la roche, et Kateline, ayant fait sa tournée le dimanche précédent, n’aurait pas bougé pour un empire.

Dans cet état, Wetterhexe allait et venait sur la côte, toujours plus inquiète et plus irritée. Durant cette journée du vendredi, ce fut bien autre chose encore. Dès neuf heures du matin, de sourdes et profondes détonations roulèrent comme un bruit d’orage dans les mille échos de la montagne, et tout au loin, vers le Donon, des éclairs rapides sillonnèrent le ciel entre les pics ; puis, vers la nuit, des coups plus graves, plus formidables encore, retentirent au fond des gorges silencieuses. À chaque détonation, on entendait les cimes du Hengst, de la Gantzlée, du Giromani, du Grosmann, répondre jusque dans les profondeurs de l’abîme.

— Qu’est-ce que cela ? se demandait Berbel. Est-ce la fin du monde ? Alors, rentrant sous la roche et voyant Kateline accroupie dans son coin, qui grignotait une pomme de terre, elle la secoua rudement en criant d’une voix sifflante : — Idiote, tu n’entends donc rien ? Tu n’as peur de rien, toi ! Tu manges, tu bois, tu glousses. Oh ! le monstre ! — Elle lui retira sa pomme de terre avec fureur, et s’assit toute frémissante près de la source chaude, qui envoyait ses nuages gris à la voûte. Une demi-heure après, les ténèbres étaient devenues profondes et le froid excessif ; elle alluma un feu de bruyères qui promena ses pâles lueurs sur les blocs de grès rouge jusqu’au fond de l’antre où dormait Kateline, les pieds dans la paille et les genoux au menton. Au dehors, tout bruit avait cessé. Wetterhexe écarta les broussailles pour jeter un coup d’œil sur la côte, puis elle revint s’accroupir auprès du feu, sa large bouche serrée, ses flasques paupières closes traçant de grandes rides circulaires autour de ses joues ; elle attira sur ses genoux une vieille couverture de laine et parut s’assoupir. On n’entendit plus qu’à de longs intervalles le bruit de la vapeur condensée qui retombait de la voûte dans la source avec un clapotement bizarre.

Ce silence durait depuis environ deux heures, minuit approchait, quand tout à coup un bruit lointain de pas, mêlé de clameurs discordantes, se fit entendre sur la côte. Berbel écouta ; elle reconnut des cris humains. Alors, se levant toute tremblante et armée de son