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l’uniforme sur la personne même de son général en chef, Rattib-Bey. Les divers grades diffèrent peu d’apparence. On les reconnaît à des insignes, tels qu’un croissant ou une ancre de diamant. La coiffure est un tarboush pour l’infanterie, un casque pour la cavalerie ; celle-ci porte des cuirasses ou des cottes de mailles.

L’armée égyptienne a acquis un grand prestige en Orient depuis qu’elle a fait trembler Constantinople. Elle n’est point aujourd’hui semblable à celle de Méhémet-Ali. Saïd ne l’a point formée dans le même esprit que son père. Méhémet-Ali dépeuplait au hasard les provinces qu’il avait soumises, l’Arabie, le Sennaur, comme l’Égypte. Peu lui importait que son armée fût ou non composée d’Égyptiens, pourvu qu’il eût des régimens nombreux et aguerris. Il voulait conquérir ; il traita l’Égypte elle-même comme une terre conquise, et l’épuisa d’hommes et d’argent, si bien que l’horreur instinctive des fellahs pour la guerre s’en accrut. Saïd ne pense pas aux conquêtes, mais il cherche à donner à ses sujets le goût du métier militaire. Une sorte de conscription est établie. Les troupes se renouvellent sans cesse ; les hommes sont licenciés après quatre ou cinq années de service et reviennent dans leurs foyers avec l’habitude du maniement des armes et le souvenir des bons traitemens qu’ils ont reçus sous les drapeaux. Sur un ordre du souverain, ces mêmes hommes peuvent être rappelés et composer une armée nombreuse et exercée. Saïd protège surtout les fellahs, les appelle à commander ; chose inouïe jusqu’alors, plusieurs sont colonels. Faire pénétrer chez ce peuple l’esprit militaire, tel est son désir, pensée féconde peut-être, mais qui ne sera pas réalisée sans de longs et persévérans efforts, car depuis Cambyse jusqu’à nos jours les fellahs ont professé une grande aversion pour le métier de soldat et se sont accommodés aisément de la domination étrangère. On doit remarquer cependant, à la louange de ce peuple si peu guerrier, qu’il se bat bien. Sous Méhémet-Ali, il a remporté des victoires ; sous Abbas, il s’est distingué en Crimée. Sa docilité, son aptitude à la discipline, lui assurent la supériorité sur les hordes de l’Orient. L’ensemble des régimens actuels présente une magnifique apparence. Pour l’exercice des armes et la précision des manœuvres, ils ne le cèdent pas aux troupes régulières de l’Europe. Nous en pûmes faire l’expérience. « Je vais jouer un tour à mes troupes, » nous dit en riant le pacha. Un de ses officiers reçut un ordre, prit son cheval, et partit au galop. Les clairons sonnèrent ; le camp, qui s’apprêtait au sommeil, s’agita ; en dix minutes, les tentes étaient abattues et pliées. Les vingt-cinq mille hommes, infanterie, cavalerie, artillerie, manœuvraient avec un ensemble admirable et se disposaient, comme pour une revue, devant l’habitation du pacha. La belle lumière des nuits