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point de vue commode d’où il aimait à dominer les nécessités du gouvernement. Avec plus de justice pour les hommes qui portaient le poids du jour, il aurait été tout à fait dans le vrai. Ceux qu’il blâmait pensaient comme lui, et il le savait bien : pourquoi donc les accuser avec cette amertume, parce qu’au milieu de l’horreur générale ils cherchaient des garanties peut-être impuissantes, mais à coup sûr légitimes ? M. de Barante, qui fut rapporteur de la loi à la chambre des pairs, et qui conclut à l’adoption, s’exprime sur cette séparation avec une réserve délicate qui laisse percer une juste sévérité.

Ce discours devait être le dernier. Le cabinet présidé par M. le comte Mole ayant présenté un projet de loi pour rétablir dans le code pénal l’article qui punissait la non-révélation des complots contre la sûreté de l’état, article introduit sous l’empire et abrogé en 1832, Royer-Collard avait écrit un discours pour combattre ce projet, une des erreurs du gouvernement de juillet ; mais il n’eut pas l’occasion de monter à la tribune, la loi fut retirée avant discussion. En 1839, il quitta définitivement la vie politique, et il mourut à quatre-vingt-deux ans, en 1845, dans sa terre de Châteauvieux, où il s’était rendu en sentant sa fin prochaine. Il voulut être enterré dans le modeste cimetière de son village.

À l’exemple de M. de Barante, nous n’avons rien caché dans la vie politique de Royer-Collard. Il faut commencer par dire la vérité sur ses maîtres, quand on veut la dire sur tout le monde. Il lui est arrivé trois fois de payer tribut à la faiblesse humaine : quand il s’est séparé sans motif suffisant du premier ministère du duc de Richelieu ; quand il a contribué à renverser le second par une manœuvre parlementaire ; quand il s’est montré sévère jusqu’à l’injustice pour le gouvernement du roi Louis-Philippe. Comme sa conduite, son talent a eu ses imperfections ; il s’est contredit assez souvent en réalité, et plus souvent encore en apparence. Il est tombé dans plus d’une exagération, dans plus d’une subtilité, dans plus d’une obscurité. Cette part faite aux défauts inséparables de l’humanité, nous avons le droit d’ajouter que personne n’a répandu plus de vérités généreuses et utiles, et n’a mieux tracé, entre deux excès contraires, la véritable marche des sociétés modernes.

Qu’importe qu’il ait paru placer une confiance trop exclusive dans des formes politiques qui ont actuellement disparu, comme la légitimité monarchique, l’hérédité de la pairie, le cens électoral ? Nous ignorons ce que l’avenir nous réserve ; nous ne pouvons prévoir jusqu’où iront, jusqu’où s’arrêteront ces grandes fluctuations de l’opinion qui se traduisent en Angleterre par des changemens de ministère et en France par des changemens de gouvernement. Ce n’est