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appelée, il l’a souvent dit, et je l’en honore, sa probité généreuse et la justesse de son esprit lui ont fait comprendre que l’ordre était surtout la dette d’un gouvernement nouveau. Il a combattu jusqu’au dernier soupir avec une intrépidité qui ne s’est pas démentie. Il a succombé trop tôt. Que les bons citoyens, les amis de l’humanité qu’il a ralliés achèvent son ouvrage. Elevons sur sa tombe le drapeau de l’ordre, ce sera le plus digne hommage que nous puissions rendre à sa mémoire. »

Ces paroles semblaient contenir un engagement personnel. Il est triste d’avoir à dire que Royer-Collard ne l’a pas rempli complètement. Au moment où ses amis, répondant à sa voix, se ralliaient pour tenir élevé le drapeau de l’ordre, on le vit peu à peu s’éloigner d’eux, comme il avait fait en 1819. Ce n’est pas qu’il crût la bataille gagnée ; il exprime au contraire dans ses lettres les craintes les plus sombres. « C’est le National, écrit-il, qui gagne du terrain, non pour édifier, mais pour démolir, ce qui est la vertu de l’esprit révolutionnaire. Notre bourgeoisie est un corps fort respectable qui conduit bien ses affaires privées, mais il ne lui a pas été donné de gouverner les affaires publiques. » Les complots et les insurrections se succèdent, et quand le roi et ses ministres luttent vaillamment pour soutenir l’œuvre de Casimir Perier, non-seulement il se tient à l’écart, mais il blâme plus souvent qu’il n’approuve. Ses épigrammes acérées n’épargnent personne. Irritable et susceptible, il était de ceux qui ne savent être ni le premier ni le second. « Il n’aimait, dit M. de Barante, ni à obéir ni à commander. « Il affectait un profond mépris pour tout ce qu’il voyait ; mais, si grand qu’on soit, personne n’a le droit de mépriser les autres à ce point.

Après l’horrible attentat de Fieschi, le gouvernement proposa les lois dites de septembre. Ces lois, qui n’avaient rien de commun avec les mesures préventives d’une autre époque, qualifiaient d’attentat et déféraient à la cour des pairs l’offense à la personne du roi et l’attaque contre le principe du gouvernement. Royer-Collard sortit de son silence pour condamner cette définition de l’attentat. « Elle n’est pas franche, cette loi ; ce qu’elle osé faire, elle n’ose pas le dire. Par un subterfuge peu digne de la gravité du gouvernement, et appelant tout à coup attentat ce qui est délit selon la loi et selon la raison, les délits les plus importans de la presse sortent du jury et s’en vont clandestinement à la chambre des pairs. Par le délit érigé en attentat, le jury est destitué, spolié de ses attributions constitutionnelles. Je me défie profondément d’un pouvoir, quel qu’il soit, qui se défie de la justice même ordinaire et, à plus forte raison, de la justice du pays. » Voilà des termes bien durs pour caractériser un changement de juridiction. Le gouvernement de juillet