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force nationale ce gouvernement faible encore, notre dernière digue contre l’anarchie et le despotisme. »

Il avait d’abord manifesté l’intention de ne plus reparaître à la tribune ; une grande question l’y rappela, celle de l’hérédité de la pairie. Il défendit courageusement, noblement, cette cause perdue d’avance, et il ne fut pas le seul. M. Guizot et M. Thiers appuyèrent aussi le principe de l’hérédité. Le discours de Royer-Collard fut son chef-d’œuvre ; c’est le résumé et la dernière expression de sa doctrine politique. Sans attacher tout à fait autant d’importance que lui à l’hérédité de la pairie, on ne peut contester que ce ne soit, comme l’hérédité monarchique, un puissant instrument d’ordre et de liberté. L’exemple de l’Angleterre le démontre. Malheureusement il ne suffit pas de vouloir une institution utile pour l’établir, il faut encore qu’elle puisse pousser ses racines dans le sol qui doit la porter. Quand elle excite plus d’ombrages qu’elle ne fait de bien, il est prudent d’y renoncer. Royer-Collard l’a dit lui-même un autre jour : « C’est la perfection, la misérable perfection des institutions humaines que de présenter en somme moins d’inconvéniens que d’avantages. » L’hérédité de la pairie n’apporte une force qu’autant qu’elle est admise par l’opinion publique ; sinon, elle devient une cause de faiblesse. L’hérédité de la pairie n’a pas sauvé la restauration, et si elle l’avait emporté en 1831, la monarchie de juillet aurait probablement succombé plus tôt. Ce qu’on a dit contre l’aristocratie bourgeoise des électeurs à 200 francs, on l’aurait dit avec encore plus de force et de succès contre la pairie héréditaire.

La France est intraitable quand on lui parle d’aristocratie constituée ; il n’y a pas de sottise qu’elle ne soit prête à faire pour échapper à cet épouvantail. On peut d’autant plus lui céder sur ce point qu’une fois rassurée du côté des lois, elle devient dans les mœurs beaucoup plus accommodante. Pour disparaître des institutions, le principe aristocratique ne disparaît pas de la société ; il semble au contraire prendre de nouvelles forces. « La gloire des armes, les services politiques, l’éclat des talens, l’illustration de la naissance, la propriété et la richesse poussée à ce point où elle est une force, » toutes ces supériorités que Royer-Collard voulait réunir dans sa pairie héréditaire ne périssent pas pour ne plus conférer un privilège légal. L’inégalité des situations est un fait indestructible, l’égalité des droits le légitime et le consacre au lieu de l’ébranler. Royer-Collard attachait donc trop de prix à la forme contingente de son idée (n’est-ce pas ainsi qu’on dit en métaphysique ?). Il ne se confiait pas assez à ce qu’elle avait de nécessaire. En même temps il montrait trop d’aversion à la démocratie, plus d’aversion qu’il n’en avait réellement. « La démocratie dans le gouvernement est incapable de prudence ; elle est de sa nature violente, guerrière, banqueroutière.