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qu’il s’était prononcé alors contre la constitution civile du clergé, c’est-à-dire contre l’intervention abusive du pouvoir civil dans la constitution intérieure de l’église, de même il repoussa l’intervention abusive de l’église dans le pouvoir civil par la répression sanglante de tout un ordre de crimes qui ne pouvait exister qu’aux yeux de la foi religieuse.

Le projet de loi sur le droit d’aînesse, ayant été d’abord présenté à la chambre des pairs et rejeté par elle, ne fut pas discuté dans la chambre des députés. Royer-Collard n’eut donc pas à s’expliquer sur ce projet, dont l’importance a été fort grossie de part et d’autre ; il eut seulement à défendre à cette occasion le droit de pétition. De nombreuses pétitions avaient été adressées à la chambre contre le droit d’aînesse : un député de la majorité prétendit qu’il y avait abus. Royer-Collard lui répondit : « Je remarque d’abord que le mot droit de pétition est impropre, car la pétition est plus qu’un droit, c’est une faculté naturelle comme la parole. Quiconque à la parole peut demander quoi que ce soit à qui que ce soit. Une pétition n’est pas un commandement : c’est l’expression d’un vœu, d’une pensée, d’une plainte si l’on veut ; comment peut-on concevoir là quelque limite ? » Il n’est pas hors de propos de rappeler ces vérités évidentes par elles-mêmes dans un moment où des esprits non moins intolérans commencent à contester le droit de pétition, reconnu par la constitution actuelle. À ces nouveaux ultras, plus royalistes que le roi, comme on disait alors, on peut répondre avec Royer-Collard : « Des résistances efficaces et habituelles ou des révolutions, telle est la condition laborieuse de l’humanité. Les résistances ne sont pas moins nécessaires à la stabilité des trônes qu’à la liberté des nations. Malheur aux gouvernemens qui réussissent à les étouffer ! »

Quand on se reporte par la pensée au moment où fut présenté le projet de loi pour la police préventive de la presse qui apportait la dernière pierre à l’édifice de la compression, on croit rêver, tant nous sommes loin de ce temps. De tous les rangs, de tous les partis, sortit à la fois un cri d’indignation. La France comprit que son honneur était engagé à ne pas tolérer cette audacieuse entreprise. L’Académie française se réunit et chargea MM. de Chateaubriand, "Villemain, Lacretelle et Michaud de rédiger une adresse au roi. Dans les deux chambres, un orage terrible éclata. « Autant vaudrait, s’écria Casimir Perier, proposer un simple article qui dirait : L’imprimerie est supprimée en France au profit de la Belgique. » Un des chefs de la droite, M. de La Bourdonnaye, s’associa à ces patriotiques colères. « Jamais, dit-il, l’indignation publique n’a été si loin. La société est soulevée contre un ordre de choses qui compromet tout ce qu’elle a de plus cher. » On sait quel fut le sort de