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cette rouille, mais nous avons besoin de beaucoup de bons exemples pour que la décence rentre dans le langage, comme l’ordre est rentré dans la société. »

Il était impossible de mieux dire, et ce ton de discussion aurait dû, mieux que toutes les colères de la majorité, ramener au sentiment des convenances les orateurs qui s’en écartaient. Nous avons vu cependant l’habitude des intempérances de langage se maintenir dans une certaine école politique et faire surtout explosion dans les assemblées qui ont suivi la révolution de 1848. Là aussi les opinions valaient mieux que les discours, et les sentimens, les intentions valaient mieux encore que les opinions ; mais la violence des expressions était telle que ce gouvernement a succombé devant la peur qu’il a faite. Là aussi la plupart des dangers qui nous ont effrayés étaient imaginaires ; mais la peur ne raisonne pas. Quand viendra donc l’heure où le temps aura emporté cette rouille, comme disait Royer-Collard en 1824 ?

Cependant les événemens suivaient leur cours. La guerre d’Espagne avait tourné contre les vœux et les espérances de son principal auteur, M. de Chateaubriand. Au lieu d’un gouvernement constitutionnel, elle avait entraîné un despotisme sans grandeur. En France, les élections générales, faites sous l’influence de la victoire, avaient donné au ministère une sorte d’unanimité. Après s’être débarrassé de M. de Chateaubriand, M. de Villèle voulut s’assurer une domination incontestée pendant sept ans ; il proposa le renouvellement intégral de la chambre et la septennalité. Royer-Collard combattit ce projet ; mais, par des raisons qui n’ont pas prévalu, le principe du renouvellement intégral s’est maintenu dans nos lois depuis qu’il a été introduit par M. de Villèle : le gouvernement de 1830 l’a adopté, et après lui la république et l’empire.

Même dans ce discours, où Royer-Collard soutient une thèse que l’expérience a condamnée dans tous les pays constitutionnels, on trouve des passages admirables de force et de raison. Pour expliquer l’immense succès électoral du ministère, il dénonça les moyens mis en œuvre pour fausser les élections, et que fournissait largement la centralisation administrative. « Qui vote dans les collèges ? Les électeurs sans doute ? Non, c’est pour un très grand nombre le ministère. Le ministère vote par l’universalité des emplois et des salaires que l’état distribué, et qui, tous ou presque tous, directement ou indirectement, sont le prix de la docilité prouvée ; il vote par l’universalité des affaires et des intérêts que la centralité lui soumet ; il vote par tous ces établissemens, religieux, civils, militaires, scientifiques, que les localités ont à perdre ou qu’elles sollicitent ; il vote par les routes, les ponts, les canaux, les hôtels de ville, car