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dit-il, avant de se décider, et réellement ce vote influa peu sur l’événement ; il avança tout au plus de quelques semaines la chute du ministère. »

Voilà donc la droite en possession du gouvernement. Dès ce moment, Royer-Collard et ses amis prirent place dans l’opposition. Son talent et sa renommée ne pouvaient qu’y grandir, car on allait lui faire beau jeu. Le poignard de Louvel avait tué la majorité constitutionnelle ; à son tour, la majorité réactionnaire allait ramener par ses emportemens le triomphe des idées libérales. L’opposition ne comptait en commençant que dix-sept voix dans la chambre élective ; elle finit par comprendre la France entière, mais il fallut dix ans pour reconquérir pied à pied ce qu’on avait à moins de frais en 1819. Royer-Collard fut au premier rang dans ce grand combat ; l’opposition lui convenait plus que le gouvernement, comme il n’arrive que trop souvent en France : la hauteur dédaigneuse de son esprit s’y sentait plus à l’aise.

L’interminable question de la presse avait reparu par la présentation d’un double projet de loi : c’est dans le cours de cette discussion qu’il présenta le tableau, souvent cité, de la démocratie française, pour l’opposer aux velléités aristocratiques du gouvernement. « La démocratie coule à pleins bords dans la France telle que les siècles et les événemens l’ont faite. L’industrie et la propriété ne cessant de féconder, d’accroître, d’élever les classes moyennes, elles se sont si fort rapprochées des classes supérieures, que, pour apercevoir encore celles-ci au-dessus de leur tête, il leur faudrait beaucoup descendre. Sans doute, et j’aime à le dire en ce moment, le monde doit beaucoup à l’aristocratie : elle a défendu le berceau de presque tous les peuples, elle a été féconde en grands hommes, elle a honoré par de grandes vertus la nature humaine ; mais de même qu’elle n’est pas de tous les lieux, elle n’est pas de tous les temps, et je ne l’insulte pas en lui demandant si elle est du nôtre. J’entends le mot, je ne vois pas la chose. La voix du commandement aristocratique ne se fait plus entendre au milieu de nous. »

Afin de poursuivre l’esprit révolutionnaire partout où il paraissait, le gouvernement résolut la guerre d’Espagne. Un crédit extraordinaire fut demandé aux chambres ; Royer-Collard n’hésita pas à le repousser, bien qu’on se servît de cet argument, que le roi seul avait le droit de paix et de guerre. « La loi qui vous est présentée engage pleinement et dans toute son étendue la question de savoir si la guerre est juste, nécessaire, avantageuse à la nation. Les votes de la chambre étant libres, elle peut refuser les subsides ou les accorder. » Quant au fond du débat, il n’eut pas de peine à montrer que cette guerre était un acte d’intervention dans les affaires d’un