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Ces paroles ont reçu des événemens un double démenti. D’abord la réforme parlementaire s’est faite en Angleterre, ainsi que bien d’autres réformes, et ce pays n’a pas été précipité dans l’abime des révolutions ; ensuite l’homme qui parlait ainsi en 1816 est précisément le même qui devait, quatorze ans plus tard, présenter au roi Charles X l’adresse des 221, expression fort nette et fort péremptoire de cette doctrine parlementaire qu’il avait repoussée avec tant d’énergie. M. de Barante n’essaie pas de dissimuler cette contradiction ; il l’explique seulement par la différence des temps. Avant tout, Royer-Collard était un écrivain. Il appartenait plus qu’il n’en voulait convenir à l’école littéraire de Rousseau ; absolu et dogmatique comme l’auteur du Contrat social, il recherchait comme lui les effets de style, qui ne s’accordent pas toujours avec la justesse. Il avait, tout en s’en cachant, cette vivacité d’impressions qui fait l’art d’écrire comme les autres arts, et qui entraîne la mobilité ; il ne savait rien dire froidement, faiblement, et frappait d’une forte empreinte toutes ses idées. Le roi Louis XVIII aimait qu’on parlât de lui, de sa volonté, de sa sagesse ; mais on eût pu s’en tenir un peu plus à la personne et généraliser un peu moins l’éloge. Ce n’est pas l’imitation de l’Angleterre, c’est la nature même des choses qui, dans tous les pays constitutionnels, attribue le pouvoir prépondérant à la majorité parlementaire. Faire de cette majorité l’instrument unique et habituel du gouvernement, comme l’ont voulu d’autres esprits systématiques, c’est tomber dans un autre excès, car il est de l’essence des majorités d’être flottantes, irrésolues, impropres à l’action ; mais leur refuser une influence générale et décisive sur la marche des affaires publiques, c’est supprimer la conséquence après avoir accepté le principe. À son origine, la restauration a essayé de disputer aux chambres le droit d’initiative et le droit d’amendement, comme découlant uniquement de la prérogative royale ; ces subtilités n’ont pu se maintenir. La théorie a beau s’y attacher, elles disparaissent d’elles-mêmes dans la pratique.

Ce n’est pas que nous ne rendions pleine justice au gouvernement de la restauration, surtout à ses débuts. Quand on compare l’état de la France en 1815 à ce qu’il était quatre ans après, on ne peut qu’éprouver une profonde reconnaissance pour le roi et pour ses deux principaux ministres, le duc de Richelieu et M. Decazes. Oublieuse et ingrate comme elle est, la nation ne placera jamais assez haut ceux qui l’ont retirée de l’abîme où l’avait précipitée Napoléon. Envahie par des armées victorieuses, déchirée par des partis implacables, elle avait à la fois à se délivrer des étrangers et à se pacifier elle-même. Quatre ans après, ces redoutables problèmes étaient, résolus ; ce pays ruiné, décimé par la guerre et par la disette, se