Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/574

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais, comme il l’a remarqué lui-même, « bien des gens ont été proscrits pour des opinions qu’ils n’avaient pas et que la persécution leur a données. » Au printemps de 1798, il se rendit en Suisse, où se trouvaient plusieurs exilés, et là il consentit à faire partie d’un comité établi à Paris dans l’intérêt d’une restauration. Pendant les années qui suivirent, ce comité correspondit avec Louis XVIII, pour l’informer de l’état des esprits en France. Au mois de juin 1800, le parti de l’action l’ayant emporté un moment dans les conseils des princes, Royer-Collard et ses collègues donnèrent leur démission. La note qu’il écrivit à ce sujet est reproduite tout entière par M. de Barante ; elle montre une aversion légitime pour les conspirations, les insurrections, les complots avec l’étranger, tous ces petits et mauvais moyens qui perdent les meilleures causes. « Comme c’est la force des événemens et des choses qui a produit et conduit la révolution, c’est la même force qui peut seule l’arrêter et la détruire. Tous les plans qui ne s’appuient pas sur cette force, qui n’ont pas pour unique objet de l’employer quand elle existera, ne sont que des intrigues impuissantes, qui ne tardent pas à devenir la pâture de la police et le scandale de l’opinion ; les vrais royalistes ne peuvent y prendre aucune part. »

L’avortement de toutes les trames tentées à cette époque, et en particulier de l’horrible tentative de la machine infernale, ne tarda pas à montrer que Royer-Collard avait vu juste. Au lieu d’ébranler le pouvoir du premier consul, ces machinations le fortifièrent. La proclamation de l’empire vint encore ajourner les espérances des amis de la monarchie tempérée. Royer-Collard n’accepta, sous le gouvernement impérial, aucune fonction politique, et s’occupa uniquement d’études littéraires et philosophiques. Il publia sans signature, dans le Journal des Débats, un piquant article sur M. de Guibert, où se révèle pour la première fois cette mordante ironie qui était une des qualités de son esprit, et qui avait fini, dans ses derniers jours, par dominer toutes les autres. Devenu presque malgré lui professeur de philosophie à la Faculté des lettres de Paris, on sait quel éclat inattendu il répandit sur cette chaire, qu’il n’occupa que si peu de temps.

Nous n’essaierons pas d’apprécier ici ce qui a été jugé tant de fois et avec tant d’éloquence. La métaphysique est une divinité jalouse, elle ne souffre que les hommages de ses adeptes. Tout le monde doit savoir gré à Royer-Collard d’avoir ramené au spiritualisme la philosophie rabaissée, mais tout le monde ne peut pas se flatter de comprendre également le langage abstrait qu’il lui prête. Le fond de la doctrine nous paraît excellent, la forme nous effraie un peu par son obscurité majestueuse et presque sacerdotale. Ce langage doit