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par le plus court chemin, soit précipitation après ce nouvel exil, soit que l’on crût inutile de dissimuler : don funeste que cette couronne ainsi reçue, sans intermédiaire, des mains de Blücher et de Wellington, que M. de Chateaubriand appelait alors notre nouveau Turenne ! Les Bourbons auront raison de soutenir qu’il n’y a eu entre eux et la nation ni conditions ni contrat[1]. Ils ont pour eux le droit de la guerre, et il est presque impossible qu’ils ne finissent point par s’en prévaloir. Ce jour-là, l’excès même de leur droit sera leur ruine, car les mêmes hommes qui veulent bien aujourd’hui se rendre à merci l’oublieront dès demain. Bientôt ils s’indigneront qu’on leur dispute les garanties qu’ils ont refusé de défendre.

Entre les Bourbons et la masse des Français que restait-il des illusions et des espérances de l’année précédente ? Désormais on se connaissait trop bien, et l’on avait appris que nul n’était changé. Le roi savait qu’il pouvait être abandonné de ses sujets, et ceux-ci qu’ils pouvaient être asservis sous prétexte d’être affranchis. Ce jour-là, un seul homme put triompher sans crainte de l’avenir : c’était Fouché. Ministre de Napoléon, il se voyait ministre des Bourbons. Au pied du trône qu’il relevait, au milieu de la stupeur du peuple qu’il changeait en acclamations, il dut croire dans le cortège que lui seul était infaillible et nécessaire ; mais c’est lui au contraire qui devait être le premier désabusé par l’exil et par une mort obscure et misérable. Qui eût pu lire dans l’avenir eût vu que cette admirable entrée préparée par Fouché ne devait profiter à personne. Le bonapartisme y trouvait sa ruine, la restauration un motif permanent de reproches, puis d’accusations, enfin sa perte. Quant au parti constitutionnel, il ne s’était montré que pour ouvrir les portes aux ennemis : fatal commencement qui devait aussi se retourner contre lui et contre nous !


XIV. — NAPOLEON A SAINTE-HELENE.

Napoléon seul profita de son désastre ; il se releva et grandit à Sainte-Hélène. Et là quelles plaintes aiguës il fit entendre ! Elles ont été ouïes de chaque point de la terre. Et pourtant il avait avec lui, pour lui faire son cortège, toute la gloire du monde, tandis que la plupart des hommes qui, en France, ont aimé ou servi la liberté avec un peu d’éclat ont dû mourir sur l’échafaud ou dans l’exil, ou au moins dans l’abandon et dans l’oubli ; mais eux sont morts seuls et sans cortège : ils n’ont pas eu pour adieu et pour consolation suprême

  1. Fouché, déjà ministre du roi, annonça que les alliés le ramenaient impérieusement sans négociations ni pacte. Lafayette, Mémoires, t. V, p. 478.