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sacrifice. C’est par là que la langue française a été comme exténuée. Dans tout cela se trouvait déjà le germe de ce que nous sommes devenus. La liberté même sembla se parodier, quand, au milieu de ce manque de résolution, un député osa reproduire les paroles de Mirabeau : « que l’on ne céderait qu’à la puissance des baïonnettes. » Tous les membres se levèrent : ils s’écrièrent qu’ils resteraient inébranlables à leurs places. Le lendemain 7 juillet, les portes étaient fermées ; des troupes en interdisaient l’approche aux députés. Le général Lafayette se présenta pour entrer ; on lui cria à travers des grilles qu’il y avait ordre de ne laisser entrer personne. Encore une assemblée française expulsée par des soldats ! Du moins ce jour-là Ils étaient étrangers[1].


XIII. — L’INVASION. — SECONDE RESTAURATION.

C’était donc là ce que la France avait gagné en se mettant à la discrétion d’un seul : d’abord des victoires éclatantes qui tenaient du prodige, puis des victoires plus durement achetées, longtemps incertaines, suivies d’avantages douteux ; enfin, dans les dernières années, des entreprises plus gigantesques, plus éblouissantes que solides, l’espérance prise pour la réalité, l’imagination pour les faits ! Et pendant qu’on avait réveillé chez les peuples étrangers le désir de l’indépendance à force d’oppression, on avait étouffé chez nous la liberté, qui seule pouvait faire les miracles : de là le vide au dedans et les invasions infaillibles aussi longtemps que le régime eût duré.

En 1792, les armées étrangères s’étaient consumées dans quelque siège obscur sans oser entamer un pouce du sol sacré. Elles avaient été arrêtées par le prestige ou la superstition de la révolution française au moins autant que par les armes ; mais le rempart moral qui nous avait protégés était tombé avec notre liberté même. Les idées, les principes qui nous avaient défendus comme des forteresses, nous les avions laissé détruire. Cent jours n’avaient pas suffi aies refaire, et c’est par cette grande brèche ouverte, non point par une autre, que l’ennemi entrait maintenant de toutes parts et sans obstacle. C’est par là qu’étaient entrés les Russes de Barclay, les Autrichiens de Schwartzenberg, les Bavarois, après avoir franchi le Rhin à Manheim, à Bâle, à Oppenheim. Les armées poussaient les armées. Derrière elles, les prédications des enthousiastes poussaient les peuples contre nous, et que nous restait-il à leur opposer ? A qui pouvions-nous faire croire des Allemands, des Prussiens, des Anglais,

  1. Mémoires du général Lafayette, t. IV, p. 478.