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grandes. Davoust, le plus décidé à capituler, n’avait-il pas, avec 30,000 hommes, battu les 90,000 Prussiens d’Auerstaedt ? Mais maintenant la raison stratégique ne servait qu’à couvrir la raison politique.

Pour quelle cause se battrait-on à outrance ? La révolution ? Napoléon se vantait de l’avoir détruite. Le bonapartisme ? Il avait abdiqué avec son chef. La patrie ? Elle avait été violée l’année précédente. La liberté ? On avait appris pendant quinze ans à s’en passer. L’égalité ? Était-ce donc à des princes, à des ducs, à des comtes, à des barons de s’immoler pour elle ? Restait le mobile sacré, l’intérêt, et il est certain qu’il y en avait un évident à ne pas se compromettre davantage avec la restauration et à lui ouvrir les portes sans tarder. D’ailleurs l’accusation de pillage reparut, et cette fois contre les soldats français, les défenseurs étant, disait-on, plus à craindre que les ennemis. Et cela se répétait à la vue même de cette armée qui n’avait rapporté pour butin que ses blessures. Quant au chef, le prince d’Eckmühl mit fin aux dernières hésitations en déclarant qu’il avait vaincu depuis quelques jours ses idées et ses préjugés. Cette difficulté écartée, il était bien entendu en effet qu’il ne restait plus aucun motif de combattre.

Les masses de l’armée eurent un instinct différent, puisqu’on assure qu’elle voulut se donner un autre chef. Elle s’offrit, dit-on, à Vandamme ; mais le général Vandamme avait été des conciliabules du prince d’Eckmühl, et il pensait exactement comme lui. Ne trouvant donc plus de chef illustre et ne voulant pas se donner à un chef obscur, d’ailleurs ne pouvant sauver le gouvernement et l’assemblée malgré eux, il ne resta à cette armée décapitée qu’à se retirer derrière la Loire, jusqu’à ce qu’elle fût licenciée.

La capitulation de Paris s’explique par la prostration et les embûches de l’esprit politique. Au point de vue militaire, elle ne se comprend plus. S’il était admis en principe que, dans l’intérêt d’une capitale, une armée de défense sous ses murs doit la céder à l’ennemi sans combattre, il n’y aurait plus aucune garantie pour la sécurité ou l’indépendance d’une nation, car il suffirait à l’ennemi de surprendre quelques marches et de se présenter devant la capitale pour que la nation fût aux abois et dût se rendre sans merci. Il est vrai que les Russes, les Autrichiens, les Bavarois avaient déjà passé le Rhin. Ils pouvaient faire leur jonction dans quinze jours, et cet ennemi absent agit sur les esprits comme s’il eût été présent. Il pesa de tout son poids sur la décision du conseil de guerre. Pourtant quel essor une bataille gagnée sous Paris n’eût-elle pas donné à la France ? Qui sait les combinaisons nouvelles qu’un grand succès eût amenées ? La France en eût été peut-être toute changée. D’ailleurs,