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ticuliers seront tentés de s’y assurer une possession qu’ils établiront au moment opportun. Les acheteurs feront quelques avances pour défricher, et insensiblement l’émulation et les essais croîtront avec les spéculations. Un premier succès en amènera mille autres, tandis qu’en continuant le système établi, les concessions les plus indiscrètes se multiplieront en pure perte. On ne se lassera pas de demander et d’acquérir gratuitement sans avances de culture. Il n’y aura de réuni au domaine que les terres de particuliers sans appui, tandis que les plus grands concessionnaires prolongeront à leur volonté les délais limités par leur charte. — Ces argumens, fort bons au XVIIIe siècle, ont acquis une autorité irréfragable par le succès des États-Unis et de l’Angleterre, au point qu’il est permis de poser la vente des terres comme la première règle de l’art de coloniser. Le discrédit de la Guyane modérerait sans doute au début l’affluence des acheteurs, mais la confiance renaîtrait avec l’expérience; à défaut des blancs, les hommes de couleur et les noirs, proscrits ou méprisés en une partie de l’Amérique, se présenteraient. Le prix ne fùt-il, comme aux États-Unis, que de 15 à 16 francs l’hectare en moyenne, le revenu en serait bientôt appréciable pour les finances de la colonie, et l’accroissement de la population constituerait un profit d’un ordre plus élevé encore. Les forêts pourraient sans doute être vendues plus cher, sans éloigner une intelligente spéculation qui consentirait volontiers à payer à un prix modéré la sécurité de longue jouissance qui est refusée à toute concession gratuite et provisoire, et peut-être la colonie trouverait-elle dans cette nature de biens, dont elle ne tire aucun parti, le gage d’un emprunt qui lui permettrait d’exécuter dans un bref délai les travaux publics les plus urgens.

La propriété certaine et définitive d’un domaine bien délimité relèverait en même temps le crédit des particuliers, réduits aujourd’hui à la confiance personnelle qu’ils inspirent à la banque de la Guyane. Celle-ci, fondée en 1855, au modeste capital de 300,000 fr., a fait plus de bien que de bruit. En 1859-60, elle a escompté, au taux de 6 pour 100, pour 2 millions et 1/2 d’effets, émis 700,000 fr. de billets en circulation, fait pour 16 millions d’affaires, distribué 11,30 pour 100 de dividende à ses actionnaires : chiffres qui établissent que la vie commerciale est loin d’être aussi éteinte à Cayenne qu’on le suppose. Cette vitalité inattendue, que, sous l’apparence d’une atonie générale et malgré un grand discrédit de l’opinion, révèlent des chiffres authentiques, tient à deux causes dont nous n’avons point encore parlé : une consommation considérable parmi les anciens esclaves et l’établissement des pénitenciers. Sous cette double influence, l’importation annuelle dépasse de 6 millions l’exporta-