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population où la paroisse prépare la commune. Prenez confiance au spectacle des États-Unis : là le pionnier s’enfonce seul au plus profond des déserts ; quelques années après, la ferme est devenue un village, souvent une ville, et le pays entier s’est colonisé. La liberté fait ces merveilles mieux que la servitude, l’administration spontanée des habitans mieux que l’administration officielle de l’état.

Au-dessus de la vie municipale plane la vie coloniale, et à la Guyane c’est encore une force à créer. Le régime absolu de Louis XIV et de Louis XV admettait auprès du gouverneur un conseil supérieur investi de hautes attributions ; on a vu que Louis XVI avait institué une sorte d’assemblée provinciale. La révolution admit dans ses assemblées les députés de la Guyane à côté de ceux des autres colonies. La restauration et le gouvernement de 1830 créèrent un conseil colonial électif et des délégués ; la république de 1848 rappela les députés et introduisit les conseils-généraux. Aucune de ces formes de représentation n’a trouvé grâce sous le nouvel empire, car on ne peut reconnaître ce caractère à un conseil privé composé d’une majorité de fonctionnaires et d’une minorité d’habitans désignés par le gouverneur lui-même, qui peut trouver en eux d’excellens conseils, jamais un contre-poids ni une résistance. Le pouvoir absolu a donc bien des charmes pour que les plus puissans souverains et les plus éminens ministres n’en dédaignent aucune parcelle ! L’histoire en a conservé un exemple opportun à rappeler ici. Sous Louis XIV, un gouverneur du Canada rendait compte à Colbert de l’avantage qu’il trouvait à réunir l’élite des colons pour prendre leur avis sur les affaires communes : aussitôt le ministre de répudier vivement cette voie pernicieuse, parce qu’elle portait atteinte aux prérogatives du grand roi, assez éclairé pour discerner par lui-même le bien de ses sujets ! L’esprit de Colbert et de Louis XIV vivrait-il encore quand le monde entier s’est renouvelé ? On voudrait en douter en voyant l’ombre du jury, sous la forme d’assesseurs, assister la cour impériale de Cayenne dans ses arrêts. Cependant le jury municipal et colonial pour les affaires d’administration importe plus à établir que le jury criminel, car les plus honnêtes gens sont tous les jours et à tout instant de leur vie justiciables de l’administration ; ils le sont rarement des tribunaux répressifs.

Par un privilège qui n’a pas de précédent, croyons-nous, dans la législation contemporaine ou passée d’aucun pays, le gouverneur de la Guyane est investi, depuis 1854, du droit de fixer à son gré la nature et l’assiette des impôts, d’en régler seul la quotité, la perception, l’emploi. Du jour au lendemain, il peut les improviser à son gré. Le 1er  janvier 1860 vit paraître un budget, exécutoire du jour même, arrêté la veille, qui doublait et triplait certaines taxes, à la grande