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lonie ne s’était vue honorée d’une marque aussi flatteuse de la bonté du roi et de la bienveillance de son ministre… Les Français, dans quelque pays qu’ils habitent, savent mieux qu’aucun autre peuple manifester la sensibilité qui les distingue. Si vous aviez pu jouir du spectacle que vous nous avez procuré, il vous aurait touché d’autant plus que personne n’apprécie et ne connaît mieux que vous les sentimens qu’inspire la bienfaisance... Lorsque nous avons ouvert la séance, les esprits étaient encore dans une sorte d’inquiétude sur ce qui allait se passer. On ignorait ce qu’on avait à espérer ou à craindre. Un spectacle nouveau, auquel nous avons cru devoir mettre de la dignité, frappait seul les regards; mais l’exposition successive des volontés du roi, de vos vues, de vos opinions et ensuite de vos dépêches, des devoirs qui nous sont imposés, des pouvoirs dont nous sommes revêtus et des bornes qui y sont assignées, — ce développement de sagesse et d’équité a fait l’impression la plus touchante. Le respect, l’admiration et la joie étaient dans tous les yeux; chacun se félicitait d’être témoin de cette heureuse époque : tous étaient honorés d’être comptés pour quelque chose dans la délibération. La Guyane s’est agrandie à leurs yeux, et cet instant a vu naître un esprit public et des vues générales. Ils sentent tous que leurs opinions vont décider de leur sort en déterminant le parti à prendre. En effet, monsieur, si, avant de faire des projets et d’aventurer ici des hommes ou de l’argent, on eût pris le parti que votre sagesse a adopté, ce pays-ci serait déjà florissant, ou n’occuperait plus personne. » Dans ces belles apparences, il y avait beaucoup de mirage : l’assemblée, réduite à un rôle purement consultatif, n’avait que des vœux à émettre, et devait laisser au représentant de la royauté, éclairé par ses conseils, le soin de prononcer sur les réformes; mais les peuples habitués au joug se contentent de si peu que les colons de la Guyane se prirent d’un courage nouveau dans leur entreprise. On institua d’ailleurs des récompenses pécuniaires et des distinctions pour ceux qui se feraient remarquer dans une branche quelconque de culture ou d’industrie. On alla même jusqu’à tenter un essai d’émancipation des esclaves dans la belle propriété domaniale dite la Gabrielle, dont le roi fit don au général La Fayette après la guerre d’Amérique. La direction en fut confiée à un homme qui avait montré une rare capacité dans la Haute-Guienne, l’ingénieur Richeprey; malheureusement il y mourut bientôt, et nulle trace ne survécut de cette noble tentative.

Dans la période qui s’écoula de 1789 à 1815, les troubles de la révolution, les guerres de l’empire, l’occupation de Cayenne par les étrangers, ne pouvaient accroître la population de la Guyane; un incident politique en éloigna même pour longtemps tout recrutement volontaire du dehors. Le directoire y déporta environ cinq