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restée la plus discréditée et la moins peuplée de nos colonies à culture, tandis qu’elle en est une des plus vastes par son étendue et des plus séduisantes par l’éclat de sa végétation. Pour une surface de seize ou dix-huit mille lieues carrées, la moitié de la France, elle ne possède guère que vingt mille habitans, et ne produit que 7 ou 800,000 francs de valeurs d’exportation, comme il y a cent ans. Elle coûte plus de 2 millions par an à la France tant en dépenses d’administration générale qu’en subventions au budget local, sans lui fournir en compensation ni un marché sérieux d’approvisionnement ni un important débouché, et tandis qu’après la crise qui a suivi l’abolition de l’esclavage toutes nos autres colonies ont déjà regagné et plusieurs même dépassé leur ancien niveau de production et de consommation, elle seule ne se relève pas malgré les secours financiers extraordinaires qu’y a versés le nouveau système pénitentiaire. En même temps, par un contraste qui a quelque chose d’humiliant, voilà que, près d’elle, dans des conditions équivalentes, les Guyanes hollandaise et anglaise prospèrent malgré les épreuves qu’elles ont subies. La raison d’un tel état de choses n’est-elle pas dans la violation des lois de la nature et-des leçons de l’expérience ? N’est-on pas fondé à espérer mieux d’une conduite plus habile et de réformes adaptées à l’esprit de notre temps ? Enfin de quelle aide ou de quel embarras a été la translation des bagnes ? Telles sont les questions vers lesquelles nous porte le courant de nos études coloniales[1], et que nous allons essayer de résoudre.


I. — CONDITIONS NATURELLES ET GÉOGRAPHIQUES.

Le caractère essentiel de la Guyane, le principe même de sa constitution naturelle, c’est une grande chaleur alliée à une extrême humidité. La chaleur, moindre pourtant que ne le fait supposer le nom vulgaire de zone torride, lui vient de sa position géographique entre le 2e et le 6e degré de latitude nord ; elle dépasse rarement 31 ou 32 degrés centigrades, que la canicule de juillet nous a rendus familiers. Le feu des rayons du soleil, perpendiculaires deux fois par an et toujours fort voisins de la ligne verticale, est tempéré par les brises continues qui tout le jour, pendant la plus grande partie de l’année, soufflent de la pleine mer. La fraîcheur est entretenue par les brises de terre qui leur succèdent, ainsi que par la longueur des nuits, à peu près égales aux jours et souvent mouillées de rosées et de brouillards. L’excès de chaleur vient plutôt d’une moyenne

  1. Voyez les livraisons de la Revue du 1er et 15 octobre 1858 (Sénégal), 15 avril et 15 mai 1859 (Algérie), 15 août 1859 (Terre-Neuve), 15 avril 1860 (La Réunion), 1er septembre 1860 (les Antilles).