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C’était charmant de la voir commander ainsi ; Hullin en avait les larmes aux yeux.

Les deux grandes filles de l’anabaptiste, l’une longue, sèche et pâle, ses larges pieds plats dans des souliers ronds, ses cheveux roux enveloppés d’une coiffe de taffetas noir, sa robe de toile bleue descendant en longs plis jusqu’aux talons, l’autre grasse, joufflue, marchant comme une oie en levant les pieds l’un après l’autre lentement et se balançant sur les hanches, ces deux braves filles formaient avec Louise le plus étrange contraste. La grosse Katel allait et venait tout essoufflée sans rien dire, et Lesselé, d’un air rêveur, faisait tout par compas et par mesure. Enfin le brave anabaptiste lui-même, assis au fond de la buanderie sur une chaise de bois, les jambes croisées, le nez en l’air, le bonnet de coton sur la nuque et les mains dans les poches de sa souquenille, regardait tout cela d’un air ébahi.

Hullin entra  : — Bon courage, mes enfans ! s’écria-t-il.

Louise courut se jeter dans ses bras en poussant un grand cri.

— Asseyez-vous, Jean-Claude, dit l’anabaptiste, qui le voyait trembler d’émotion.

Hullin s’assit, et Louise, s’asseyant sur ses genoux, les bras sur son épaule, se prit à pleurer.

— Qu’as-tu donc, chère enfant ? disait le brave homme tout bas en l’embrassant. Voyons,… calme-toi… Tout à l’heure encore je te voyais si courageuse…

— Ah ! oui,… je faisais la courageuse,… mais, voyez-vous, j’avais bien peur, … je pensais : Pourquoi ne vient-il pas ?

Elle lui jeta ses bras autour du cou ; puis, une idée folle lui passant par la tête, elle prit le bonhomme par la main en criant : — Allons, papa Jean-Claude,… dansons,… dansons !… Et ils firent trois ou quatre tours. Hullin, souriant malgré lui, se tourna vers l’anabaptiste, toujours grave : — Nous sommes un peu fous, Pelsly, dit-il ; il ne faut pas que cela vous étonne.

— Non, maître Hullin, c’est tout simple. Le roi David lui-même après sa grande victoire sur les Philistins dansa devant l’arche.

Jean-Claude, étonné de ressembler au roi David, ne répondit rien. — Et toi, Louise, reprit-il en s’arrêtant, tu n’as pas eu peur pendant la dernière bataille ?

— Oh ! dans les premiers momens, tout ce bruit, ces coups de canon ;… mais ensuite je n’ai plus pensé qu’à vous et à maman Lefèvre.

Elle le prit par la main, et, le conduisant en face d’un régiment de marmites rangées autour du feu, elle lui montra d’un air glorieux toute sa cuisine. — Voici le bœuf, voici le rôti, voici le souper du général Jean-Claude, et voici le bouillon pour nos blessés !… Ah !