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Claude, plusieurs demandent de la poudre… — Qu’on observe Grandfontaine, et qu’on change les sentinelles de ce côté toutes les demi-heures… Qu’on approche l’eau-de-vie du feu… Attendez que Divès arrive, il nous amène des munitions… Qu’on distribue le reste des cartouches… Que ceux qui en ont plus de vingt en donnent à leurs camarades. — Et ce fut ainsi toute la nuit.

Vers cinq heures du matin, Kasper, le fils de Materne, vint dire à Hullin que Marc Divès avec un tombereau de cartouches, Catherine Lefèvre sur une voiture et un détachement de Labarbe venaient d’arriver ensemble, et qu’ils étaient déjà sur le plateau. Aussitôt il se leva et sortit avec Kasper.

L’aspect du plateau était étrange. À l’approche du jour, des masses de brume commençaient à s’élever de la vallée, les feux pétillaient à l’humidité, et tout autour se voyaient des gens endormis : l’un étendu sur le dos, les deux mains nouées derrière son feutre, la face pourpre, les jambes repliées ; l’autre, la joue sur son bras, les reins à la flamme ; la plupart assis, la tête penchée et le fusil en bandoulière ; tout cela silencieux, enveloppé d’un flot de lumière pourpre ou de teintes grises, selon que le feu montait ou s’abaissait ; puis, dans le lointain, le profil des sentinelles, l’arme au bras ou la crosse au pied, regardant dans l’abîme plein de nuages. Sur la droite, à cinquante pas du dernier feu, on entendait hennir des chevaux et des gens frapper du pied pour se réchauffer en causant tout haut.

L’un des partisans ayant jeté dans le feu quelques brindilles de bois sec, il y eut un éclair, et les hommes de Marc Divès à cheval, six grands gaillards enveloppés de leurs longs manteaux gris, le feutre rabattu sur les épaules, les grosses moustaches retroussées ou retombant jusque sur leur col, le sabre au poing, immobiles autour du tombereau ; plus loin, Catherine Lefèvre accroupie entre les échelles de sa longue voiture, la capuche sur le nez, les jambes dans la paille, le dos contre une grosse tonne ; derrière elle, une marmite, un gril, un porc frais éventré, nettoyé, blanc et rouge, quelques bottes d’oignons et des têtes de choux pour faire de la soupe : tout cela sortit une seconde de l’ombre, puis retomba dans la nuit.

Divès s’était détaché du convoi et s’avançait sur son grand cheval. — J’ai là quelques milliers de cartouches, dit-il à Hullin. Hexe-Baizel travaille jour et nuit.

Catherine s’approcha aussi. — Et Louise ? demanda-t-elle.

— Louise a passé la nuit à découper et à coudre des bandages avec les deux filles de Pelsly.

— Pauvre enfant ! dit Catherine. Je cours la rejoindre. J’ai apporté, ajouta-t-elle, de quoi faire la soupe de ce matin. Hier nous avons abattu un bœuf, ce pauvre Schwartz ; il pesait bien neuf cents.