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canon de sa carabine, semblait tout content de son gibier, et le vieux Materne, se frottant les mains, disait : — J’étais sûr de vous rapporter quelque chose. Nous ne revenons jamais, mes garçons et moi, les mains vides.

Hullin alors le prit à part : ils entrèrent ensemble à la ferme, où Materne lui raconta ce qu’il avait observé.


XII.

Cette nuit-là, qui tombait le 6 janvier 1814, la petite métairie de l’anabaptiste ne cessa pas une minute d’être remplie par les allans et venans. Hullin avait établi son quartier-général dans la grande salle du rez-de-chaussée, à droite de la grange, faisant face à Framont ; de l’autre côté de l’allée se trouvait l’ambulance ; au-dessus habitaient les gens de la ferme. Quoique la nuit fût très calme et le ciel parsemé d’étoiles innombrables, le froid était si vif qu’il y avait près d’un pouce de givre sur les vitres. Au dehors, on entendait le « qui vive ? » des sentinelles, le passage des rondes, et sur les cimes d’alentour les hurlemens des loups, qui suivaient nos armées par centaines depuis 1812. Ces animaux carnassiers, assis sur les glaces, leur museau pointu entre les pattes et la faim aux entrailles, s’appelaient du Grosmann au Donon avec des plaintes semblables à celles de la bise. Plus d’un montagnard alors se sentait pâlir. — C’est la mort qui chante ! pensaient-ils, elle flaire la bataille,… elle nous appelle !… — Une trentaine de feux brillaient sur le plateau ; tout le bûcher de l’anabaptiste était ravagé, on entassait bûche sur bûche, on se rôtissait la figure, et le dos grelottait ; on se chauffait le dos, et le givre pendait aux moustaches.

Hullin seul, en face de la grande table de sapin, songeait à tout. D’après les derniers rapports de la soirée, annonçant l’arrivée de l’avant-garde autrichienne à Framont, il était convaincu que la première attaque aurait lieu le lendemain. Il avait fait distribuer des cartouches, il avait doublé les sentinelles, ordonné des patrouilles, et marqué tous les postes le long des abatis. Chacun connaissait d’avance la place qu’il devait prendre. Hullin avait aussi envoyé l’ordre à Piorette, à Jérôme de Saint-Quirin et à Labarbe de lui détacher leurs meilleurs tireurs.

La petite allée noire, éclairée par une lanterne graisseuse, était pleine de neige ; à chaque instant, on voyait passer sous la lumière immobile les chefs d’embuscade, le feutre enfoncé jusqu’aux oreilles, les larges manches de leur houppelande tirées sur les poings, les yeux sombres et la barbe hérissée de glace. — Maître Jean-Claude, on voit remuer quelque chose du côté de Grandfontaine… On entend galoper… Maître Jean-Claude, l’eau-de-vie est gelée… Maître Jean--