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voix, ils leur crièrent de venir dans leurs rangs, qu’ils y seraient bien reçus, qu’ils étaient anciennement amis, qu’ils avaient servi ensemble en Espagne, sous les mêmes généraux et dans le même corps, et ils appelaient par leurs noms ceux qu’ils reconnaissaient. Plus on était proche, plus les instances redoublaient. On en vint ainsi à se toucher ; mais, au lieu de se rendre à ces instances, les Belges commencèrent à sabrer. Alors les Français, d’anciens amis qu’ils étaient, devinrent de furieux ennemis. Chacun se choisit un adversaire, et, comme on était déjà presque mêlé, on se prit corps à corps. Cette première rencontre fut terrible, mais elle dura peu. Culbutés, écharpés, les Belges s’enfuient en désordre au-delà du champ de bataille. Ils y laissent en morts et en blessés une bonne partie des leurs.

Pendant qu’aux deux ailes l’infanterie de Reille gagne du terrain, la cavalerie légère au centre continue ses charges le long de la grande route. Le duc de Brunswick, à la tête de ses lanciers, fond sur les colonnes françaises. Il est rejeté sur son infanterie au bas de la route de Nivelles. Comme il essayait bravement de rallier ses troupes, il est tué d’une balle qui lui traverse le corps. Son cheval l’emporte au loin, sans vie, penché sur l’arçon, au milieu de la seconde ligne. À sa suite, la cavalerie légère de Piré pénètre jusque dans les Quatre-Bras ; les têtes de colonnes tourbillonnent à la croisée des routes. Les cavaliers brandissent le sabre sous le feu nourri des highlanders, embusqués derrière les haies et les fossés.

Ney soutient ce succès par la grosse cavalerie de Kellermann, qui vient de le rejoindre. À la vue de ces cavaliers, les carrés anglais se forment ; ce sont d’abord ceux du 44e et du 42e régiment. Picton les appuie des carrés de sa division et de ceux des gardes. Trois régimens anglais achèvent de fermer la trouée, le 32e, le 79e le 95e. Disposée en échiquier, cette infanterie est en partie cachée par les blés ; mais des lanciers français viennent intrépidement planter en terre les hampes de leurs lances, en guise de jalons, sur le front des bataillons ennemis, à peu de distance des baïonnettes ; l’escadron charge en prenant la flamme de la lance pour point de direction. Les tirailleurs anglais se retirent ; ils vont se coucher à terre à l’abri des baïonnettes croisées de leur régiment. Les batteries françaises qui leur sont opposées se taisent. On entend le bruit sourd des pas des chevaux à travers les sillons, sur la paille foulée.

Ce fut comme un prélude des grandes charges de cavalerie qui devaient se renouveler le surlendemain au milieu du plateau de Mont-Saint-Jean. Les étrangers ont comparé ces attaques d’escadrons à des faucons et des éperviers qui épient et saisissent le moment de fondre d’en haut sur leur proie. À peine un escadron a-t-il été repoussé par les feux convergens, un autre se précipite sur la