Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/374

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cée, absolument comme la Cène de Léonard, dans le réfectoire des camaldules, dont l’ancien couvent sert aujourd’hui de collège. Il y a aussi dans la basilique modernisée de Sainte-Agathe un tableau de cette sainte entre sainte Cécile et sainte Catherine. Ce sont des têtes charmantes, peut-être même plus charmantes qu’elles ne devraient l’être, celle surtout de sainte Agathe, dont le martyre est représenté avec une vérité hideuse, et qui offre au ciel ce qu’elle vient de perdre par le fer, comme deux citrons sur un plateau. Mais laissons tout cela; autrement il faudrait retourner dans la cathédrale pour y admirer le tableau de la Manne du Guide. Il faudrait parler aussi de l’église de Saint-Romuald, de Sainte-Marie-du-Port, de l’hôtel de ville, de la maison de lord Byron et du tombeau de Dante.

Le nom des deux poètes est en effet une des illustrations de Ravenne. L’un banni y trouva un asile; l’autre, dans son exil volontaire, choisit longtemps pour séjour le lieu où tu reposes, o gran padre Alighier[1], et souvent, après avoir cherché sur ce poétique tombeau l’inspiration créatrice, il l’emportait avec lui sous les ombrages murmurans de la pineta. Là il la fixait dans sa pensée sous cette forme rhythmique qui seule lui donne la puissance et la durée, tout en courant à cheval dans les détours de cette immortelle forêt où, sur les ruines ensevelies de Césarée, il retrouvait le souvenir de Boccace et de Dryden[2]. Tout ici a reçu l’empreinte de ses pas. Il y a chanté la mort de Gaston de Foix, il y a conduit son jeune don Juan. C’est à Ravenne qu’il a composé Marino Faliero, les Deux Foscari, d’autres poèmes encore; dans une église de la ville, on lit sur les tombeaux d’une chapelle tout aristocratique un nom mainte fois répété, qui n’a plus d’autre gloire que d’être uni au sien par la poésie elle-même, et l’on se rappelle alors sous quelle séduisante influence il a écrit cette Prophétie de Dante où respire, dans ses colères et ses douleurs, ce patriotisme italien que tout le monde voulait ressentir du temps qu’il paraissait manquer à l’Italie elle-même.

La maison de lord Byron n’est pas plus comfortable que romantique, et pour être remarquée, elle a grand besoin de la table de marbre et de l’inscription dont on l’a parée seulement depuis que l’Italie est libre. Quant à la niche en plâtre où l’on a caché les restes de Dante, c’est une chapelle de madone de grande route, et more neat than solemn[3] ; elle doit tout au souvenir qu’elle

  1. Alfieri.
  2. Boccace. y a placé la scène d’une de ses nouvelles, d’où Dryden a tiré Theodore and Honoria.
  3. Byron.