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du caractère des têtes, qui même doivent être des portraits. Ce sont des portraits à coup sûr que celles de Justinien et de Théodora. Les connaisseurs sont allés jusqu’à reconnaître à la tête du premier une physionomie vulgaire, et dans la figure de l’impératrice la trace des faiblesses et des désordres de sa vie. Pour moi, dans ses traits petits, fins et réguliers, je ne puis guère voir qu’une jolie figure qui n’arrive point à être belle ; mais ces peintures intéressent à un tel point qu’on regarde à peine tout ce que contient encore cette église fort riche en objets curieux, comme le tombeau de l’exarque Isaac, deux bas-reliefs païens pudiquement mutilés, et un tabernacle de cuivre doré exécuté en forme de ciboire sur un dessin de Michel-Ange.

C’est rester encore dans la compagnie des premiers pasteurs de Ravenne que de monter l’escalier de marbre de l’archevêché actuel, qui n’a d’ailleurs rien d’un palais, et de traverser une salle où sont déposés d’antiques débris, pour entrer dans une chapelle conservée comme elle était au VIe siècle. Ce sont encore des mosaïques qui la recouvrent tout entière de leur vif éclat : sur un fond d’or, des oiseaux et des fleurs pour ornemens, puis des emblèmes sacrés, puis des images des apôtres et de Jésus-Christ, toujours avec cette jeunesse idéale, attribut que la peinture primitive aimait à lui donner. Ces mosaïques, regardées comme plus récentes que toutes celles que nous avons décrites, semblent porter l’empreinte d’un art moins avancé, mais c’est plutôt d’un art en décadence. L’art chrétien lui-même a longtemps décliné à mesure qu’il s’éloignait de l’antiquité païenne. On marchait alors vers les temps les plus misérables du moyen âge.

En sortant de Ravenne par la Porta Serrata, on côtoie le canal qui communique avec le port actuel (Porto Corsini), et l’on est sur la route du tombeau de Théodoric. De son palais, livré par Adrien Ier à Charlemagne, qui le dévasta, il ne reste qu’un pan de mur et de sculpture brisée incrusté dans les constructions qui l’ont remplacé. Quand vous passez auprès d’une des tours des anciens remparts, on vous montre une plaque portant une inscription. C’est en face qu’on a trouvé, en creusant le lit du canal, quelques ossemens et une armure assez riche, dorée même, ce me semble. Quelques indices ont persuadé que ce pouvaient être les restes et les armes d’Odoacre, enterré sans honneur non loin du lieu où il a péri, Odoacre, ce fondateur du premier royaume d’Italie, ce barbare que l’histoire présente comme équitable et clément, cet arien qui ne persécutait pas, un de ces conquérans qui pourraient être des libérateurs. Ces pensées, que les circonstances actuelles ramènent, occupaient peu les vieillards, les jeunes gens, les nombreuses femmes que nous ren-