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tres sont devenus des galeries funéraires. On y a déposé des tombeaux de prix enlevés à des églises de la ville modifiées ou abandonnées. Celui d’un guerrier du temps de la renaissance est un remarquable ouvrage. De nouveaux cloîtres ont été construits; il y en a un d’une grandeur extraordinaire. Ils entourent de vastes préaux plantés de cyprès et gazonnés où repose la foule des morts, chacun dans une place à jamais marquée par la croix et par son nom. Les murs des cloîtres, disposés transversalement en columbarium à leur partie postérieure, peuvent recevoir du dehors, dans chaque niche, deux cercueils qu’on y scelle en maçonnerie, et sur la face interne du mur on grave l’inscription sépulcrale. On peut acheter le droit d’occuper plus de place, et une épitaphe plus longue, un médaillon, un monument, une peinture en grisaille satisfait la piété ou l’orgueil des familles. Dans quelques salles ménagées sur certains points de l’enceinte, des tombeaux qui portent un nom connu ou que l’art recommande illustrent cette sorte de musée mortuaire. Un tombeau de Bartolini m’a frappé. Est-elle de lui, la statue de la princesse Elisa? Le gardien très intelligent de ce dépôt funèbre nous disait que, suivant l’usage du pays, les amis, les parens n’accompagnent le cercueil que jusqu’à l’église; c’est un reste du temps où l’église servait de sépulture. Le cercueil laissé sur le pavé du temple est apporté au cimetière à minuit. Il est placé pendant la nuit là où il doit rester, et au jour la terre ou la pierre le couvre à jamais. Ce gardien disait que depuis cinquante-huit ans que ce cimetière existe, il avait reçu trois fois la population de Bologne. Suivant lui, ce lieu reste assez solitaire : il n’est pas ouvert aux promeneurs oisifs, et les familles y viennent peu visiter la place où périssent des restes périssables. Ce lieu cependant a quelque chose de doux dans sa tristesse et porte partout l’empreinte d’un soin intelligent et pieux qui inspire une vraie sympathie. Les campo santo d’Italie, celui de Bologne entre autres, ont une disposition régulière sur un grand espace et par suite une gravité calme qui manque à ce fouillis de constructions disparates dont nos cimetières de Paris sont encombrés. Si la douleur n’y a pas plus qu’ailleurs échappé aux faiblesses de la vanité, aux fadeurs des esprits vulgaires, leurs paroles et leurs emblèmes se perdent dans cette longue file d’inscriptions et d’images rangées en ligne sur une muraille continue, et l’esprit, qui n’est pas à chaque instant distrait par quelque dissonance dans les mots ou dans les formes, s’abandonne sans contrainte et sans amertume aux réflexions qu’un lieu pareil inspire. Là, ce semble, la mort perd de son horreur, elle ne menace plus, elle n’est que triste, et la pensée n’a plus rien de ce qui brise ou révolte l’âme. Il semble que l’on peut contempler sans effroi ce dernier séjour, qui est bien le séjour de l’attente dans la paix et non celui du désespoir ou du néant.