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dédaigneux. Il n’est pas sûr qu’elle y comprenne rien. Qu’exprime-t-elle donc à cette place? Ce qu’elle exprime? La beauté; elle est là rien que pour être belle. Indifférente à l’émotion commune, elle n’en est que plus belle dans le pur sens du mot, car la beauté n’est pas en soi l’expression même des belles choses, elle n’a pas besoin de rendre l’exaltation d’une âme religieuse ou la victoire de la vertu. Tout au plus exprime-t-elle le calme et l’harmonie. La sainte Cécile et Madeleine sont certainement belles toutes deux. Avec leur teint vif et naturel, qui dans une personne réelle serait jugé trop coloré, ce sont deux têtes incomparables; mais il se mêle à la beauté de la sainte une expression relative et nécessaire au sujet du tableau. La beauté de Madeleine est plus simple, rien ne la complique et ne l’altère, et par là elle est plus pure et plus grande : elle est la beauté. Le dernier but de l’art est atteint.

A la suite de Raphaël et après Innocenzio d’Imola, les Carraches réformèrent à la fois la peinture et l’école de Bologne, l’école d’où sortirent bientôt le Caravage, le Guide, l’Albane, le Dominiquin, le Guerchin. Les Carraches sont d’habiles artistes, savans et réfléchis. Louis, le premier, conçut par l’étude la nécessité d’une réforme, et il s’associa pour cette œuvre ses deux neveux, Annibal et Augustin, qu’il arracha à quelque humble industrie. Pour lutter contre le maniérisme qui suivit immédiatement l’influence de Michel-Ange, il fonda une école dite des Incamminati, et il enseigna l’éclectisme ou l’imitation des grands maîtres dans ce que chacun d’eux avait d’éminent, et en l’appliquant, suivant les cas, aux besoins de la figure que l’on voulait peindre. Un sonnet d’Augustin partout cité énumère comme conditions de la peinture parfaite les diverses perfections des différens maîtres. Ses distinctions critiques pourraient bien n’être pas toutes sanctionnées aujourd’hui; mais on y reconnaît l’esprit de l’école. Dans ses progrès ultérieurs, cette école aboutit à un naturalisme ennobli par un style fier et par la recherche des grands effets. Je ne puis dire toutefois que les Carraches du musée bolonais m’aient transporté. Il me semble que j’ai mieux aimé ceux de Parme. On doit citer cependant une Vierge sur un croissant au milieu des anges, et une autre, sur un tronc, entourée de saints et de saintes, par Louis Carrache. Annibal, en véritable éclectique, a peint une madone dans le style de Paul Véronèse, tandis que l’enfant et le petit saint Jean rappellent le Corrège, saint Jean l’Évangéliste le Titien, et sainte Catherine le Parmesan. Il y a d’Augustin une communion de saint Jérôme qu’on pourrait prendre pour une première pensée de celle du Dominiquin.

Le Guide se montre avec éclat dans cette galerie. On peut dire qu’il avait un sentiment très élevé de la beauté des têtes, et il sait leur donner au besoin une expression touchante et douloureuse;