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arrachemens qui attendent un revêtement de marbre ou de pierre. En regardant bien, on finit par s’apercevoir que le bas de l’édifice n’est pourtant pas sans parure, et que des ornemens délicats encadrent en partie les trois portes. Elles sont à plein cintre, bordées de cordons byzantins, accompagnées de sculptures de la renaissance. On trouve ici quelque chose du style de Jean Goujon, et Jacopo della Quercia, Tribolo, Lombardo, une femme enfin, célèbre par le talent et le malheur, Properzia de’ Rossi, ont épuisé leur art à parer le front d’un temple qui ne sera jamais qu’une colossale grange. Vers 1390, les Bolonais, alors en république, chargèrent Antoine Vincenzi de leur bâtir la plus grande église connue, et le plan de l’artiste promettait à Saint-Pétrone 40 mètres de plus en longueur que Saint-Pierre de Rome. Il s’agissait de couvrir plus de 64,448 mètres de superficie, l’édifice devant en avoir 243 de long sur 159 de large, et le dôme 39 de diamètre. L’aire de Saint-Pierre n’a guère plus d’étendue, et aucune cathédrale de France n’en a plus du tiers; mais ce tiers seulement a été fait : il ne nous reste donc qu’une nef immense qui n’arrive pas au transept. Voûtée en ogive, elle a sur chaque flanc deux bas côtés ou deux nefs-latérales de hauteur différente, et cette disposition, qui rappelle la cathédrale de Milan, est autorisée par plus d’un modèle de l’architecture du nord, tel que la cathédrale de Bourges. On peut donc ici se donner un exemple de la manière dont les Italiens du XIVe siècle usaient du gothique, lorsqu’ils voulaient sur la plus grande échelle l’appliquer à une construction pour laquelle ils n’épargnaient rien. D’abord au dehors, point de trace de gothique; au dedans, cinq lignes de voûtes en ogives dans le sens de la longueur, mais les arcs latéraux qui séparent les nefs sont, je crois, circulaires. Les ogives italiennes prennent en général naissance aux extrémités d’un très long diamètre, ce qui est l’antipode du style pointu. Des ogives obtuses perdent leur caractère, et si l’on en use, comme il semble, pour faire des épargnes sur les piliers et les colonnes dont on compense le nombre par la masse, on ne réussit qu’à combiner le vide et la lourdeur. Il serait trop long d’énumérer les beautés et les traits du genre gothique qui manquent à Saint-Pétrone. C’est à ce point que ces traces d’ogives me paraissent des expédiens ou des singularités de construction plutôt que des signes de l’adoption d’un système. Il y aurait là un travail qui, s’il n’a été fait, pourrait être recommandé aux historiens critiques de l’architecture. Enfin cette célèbre église a pour principal mérite la grandeur du vaisseau, et ce mérite n’est pas indifférent. Il vous frappe tout d’abord, mais il passe avec la première impression. On peut se dédommager en visitant les chapelles, où plus d’un bon tableau arrêtera les regards. On y fera,