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cale pour ne point devenir la résidence d’un maître, et qui, gardant toutes ses franchises jusque sous l’autorité romaine, communiquait avec son souverain par ambassadeur. Par sa population, ses lumières, son importance, par la solidité d’esprit et l’énergie de caractère de ses habitans, Bologne est une des premières villes de l’Italie, et elle donnera, je n’en doute pas, des hommes politiques au gouvernement qu’elle s’est choisi[1]. Nulle ville cependant aux lumières nouvelles n’unit d’une manière plus frappante les caractères du passé. C’est sans contredit le lieu où, depuis que nous avons passé les Alpes, nous apparaissent le plus visiblement les signes extérieurs des vieilles cités italiennes. Ses remparts, ses rues étroites, bordées de galeries sans uniformité, et qui ne sont pas toujours au même niveau, ses édifices municipaux, ses églises innombrables, tout se prêterait à la représentation de quelqu’une de ces terribles scènes de passion ou de perfidie, d’amour ou de vengeance, de dévouement patriotique ou de perversité ambitieuse, dont abonde l’histoire des républiques du moyen âge. Tout au moins s’attendrait-on à voir sortir vers le soir de la porte obscure d’une de ces maisons quasi fortifiées quelque jeune homme insouciant en toque et en pourpoint de velours, et rôder sur ses pas, couverte d’une cape sombre, la figure sinistre d’un frère offensé ou d’un mari jaloux. Les nouvelles de Bandinello et de Boccace trouveraient ici leur théâtre naturel, et si lord Byron aimait tant cette ville, c’est que le drame pathétique de Parisina aurait pu s’y jouer. Les mœurs romantiques se sont, j’en ai peur, envolées de Bologne comme de partout ; mais cependant il règne encore dans ces murs une certaine originalité. Dans les rangs inférieurs, la coiffure et le mantelet des femmes, l’oisiveté des hommes, immobiles ou qu’on voit errer sous les plis d’un long manteau, indiquent un peuple qui se défend de l’activité industrielle et de l’imitation de Paris. L’attelage singulier des voitures légères ou des lourds chars à bœufs qui parcourent la ville prépare nos yeux à ce que les estampes nous ont appris de la circulation de Rome et de Naples, et les madones de plus en plus multipliées avec leurs lampes de jour et de nuit, ainsi que les fresques de piété qui se dégradent aux murailles de quelques galeries ouvertes sur la rue, attestent de plus en plus la vieille alliance populaire de l’art et de la dévotion.

Sur cette vaste place qui est bien la place du Géant, quoique pour y arriver un géant ne fut pas à l’aise dans les rues qui y mènent, on trouve, en entrant par le Corso, grande voie qui traverse la ville dans toute sa longueur sur une largeur moindre que notre rue des

  1. Dès 1819, lord Byron l’avait regardée comme la ville d’Italie la plus mûre pour une révolution. Notes du chant IV de Childe Harold.