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ne pouvant conduire son cheval, la foule l’entraîne vers la grande route de Charleroi. Il y cherche quelque temps le maréchal Ney pour lui remettre un dernier détachement rallié de la brigade de Brue.

À ce commencement du désastre, une chose frappe dans le récit des Anglais : c’est la louange enthousiaste qu’ils adressent au duc de Wellington pour avoir osé poursuivre la vieille garde décimée et écharpée. Quelle idée se faisait-on donc de cette garde, et quel éloge vaudra jamais un pareil aveu? Il est certain en effet que, même à ce moment de calamité où l’armée française sembla se fondre, le duc de Wellington usa d’une extrême prudence. Que de précautions encore contre cette foule désorganisée! que de circonspection dans la victoire! Il fut lent à croire à un pareil désastre. Quand il le vit, il fut lent encore à commettre toute l’armée anglaise contre de tels débris. Il retint la masse de ses troupes immobile sur les hauteurs, et il ne lâcha dans la plaine que les brigades de Vivian et de Vandeleur, comme pour s’assurer d’une victoire qu’il ne pouvait croire si complète.

Des batteries tiraient encore de différens points. La fusillade continuait autour des ruines enflammées d’Hougoumont, puis elle cessa. Il était huit heures et demie, le soleil se couchait: il jeta un dernier rayon à travers les arbres de Merke-Braine. La fumée se dissipa sur presque tout le champ de bataille; l’affreux spectacle resta un moment à découvert. A mi-côte de la position française, on voyait encore çà et là des carrés d’infanterie et des canons sur les flancs et dans les intervalles. Où était alors cette invincible cavalerie de Milhaud, de Kellermann, de Guyot, de Lefebvre-Desnouettes? Il y avait çà et là des escadrons qui restaient immobiles. Ce n’étaient que des débris et, comme disent les Anglais, de vrais fantômes de ce qu’ils avaient été le matin. Ils étaient là épars, quelques-uns sans chefs, partout où le hasard de la bataille les avait dispersés. La foule passait à leurs pieds, comme les grandes eaux se précipitent à travers les arches d’un pont ruiné dont il ne reste que quelques piliers que l’inondation n’a pu emporter; mais tels qu’ils étaient, au milieu de la confusion générale, ces carrés et ces escadrons imposaient à l’armée anglaise. Wellington crut ne pouvoir prendre assez de précautions pour les aborder.

La brigade de cavalerie légère de Vivian, formée en échelons par escadrons, est lancée la première dans le centre des Français. Elle y fait la trouée. Les lanciers, les dragons de la garde impériale se retournent et chargent les dragons et les hussards de la légion germanique. On parle aussi d’un corps de cuirassiers qui contint par un feu de carabines la cavalerie allemande. Par là ils