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tête. La même chose arriva au général Pirch. Il reçoit la nouvelle que l’avant-garde d’Exelmans se montre sur les hauteurs en avant de la Baraque ; aussitôt Pirch laisse en arrière la brigade de cavalerie du lieutenant-colonel de Sohr, le 11e régiment de hussards et quatre pièces d’artillerie attelée. Toutes ces troupes manqueront à la bataille.

Ainsi une démonstration involontaire de quelques troupes légères de Grouchy sur sa gauche a porté un trouble réel, profond dans les dispositions de l’ennemi. Déjà à cette seule apparence que de faux mouvemens de la part des Prussiens ! quelle marche désunie ! Blücher lui-même un moment incertain, le corps de Bulow séparé en deux par un intervalle de plusieurs lieues où les nôtres ont pénétré, Pirch affaibli d’une partie de ses troupes, la réserve de cavalerie et celle d’artillerie de la 7e et de la 8e brigade arrêtées et paralysées, le détachement de Ledebur coupé du reste de l’armée et obligé de se rouvrir un chemin de vive force, tout cela à la seule apparition d’une avant-garde de cavalerie ! Que sera-ce donc si Grouchy se ravise, si, au lieu de quelques éclaireurs épars, aventurés, c’est tout son corps qui marche résolument, de propos délibéré, dans les flancs des Prussiens ! Il est peut-être temps encore de revenir à la résolution audacieuse du général Gérard ; outre les circonstances que je viens de dire, il en est une autre qui conseille la hardiesse. Le gros de l’armée ennemie est en ce moment retardé sur les ponts étroits de Wavre ; elle a peine à déboucher.

Si la discussion du matin n’avait pas persuadé Grouchy, elle l’avait du moins profondément agité. Il galopait seul, en avant et sur le flanc de ses colonnes ; il s’avança de sa personne jusqu’à l’extrémité du bois de Limelette. Là, il écouta de plus près le retentissement croissant de la bataille qui n’avait pas encore de nom ; il chercha, des hauteurs où il était, à pénétrer les secrets de l’horizon, vers Saint-Lambert ; puis tout à coup il se rassure : la dépêche que Napoléon lui a envoyée à dix heures du champ de bataille vient de lui parvenir. Il se hâte de s’en prévaloir ; on l’entend s’écrier : « Nous sommes sur la bonne route. L’empereur nous approuve ; il nous ordonne de marcher sur Wavre ; c’est à Wavre qu’il faut aller. » Et, l’esprit dégagé d’un grand poids, il achève tranquillement le mouvement funeste où il s’est engagé avec anxiété.


IV. — SUITE DE LA BATAILLE. — INTERVENTION DU CORPS DE BULOW.

C’est à quatre heures que le général Bulow atteignit les bois de Frichermont. Il n’avait pas paru à la bataille de Ligny ; sa hâte n’en était que plus grande. Ses troupes marchaient sur un large front aux deux côtés du chemin encaissé qui avait été réservé à l’artille-