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et les lanciers de Jaquinot sont les seuls qui aient été engagés dans une charge rapide et glorieuse. Les autres sont restés, sans faire un pas, à leur place de bataille, spectateurs de l’action qui se passe dans le ravin et sur les hauteurs opposées. Sous les détonations des batteries, les chevaux secouent la tête et frémissent avec un grand bruit de fer; mais les hommes restent immobiles et silencieux, ils ont encore le sabre dans le fourreau. Là sont les vieilles réserves de Lefebvre-Desnouettes, de Guyot, de Kellermann. A peine si un boulet perdu les a effleurées; jamais elles ne se sont ébranlées que pour frapper le dernier coup sur les armées que l’infanterie leur livre à moitié entamées et détruites. Elles attendent, dans le repos de la force, le signal non de vaincre, mais d’achever le vaincu.

Pendant ce temps, l’artillerie française, avec deux cents bouches à feu sur tout le front, rouvre l’attaque. Comme par la disposition des lieux cette artillerie tient l’arc de la corde formée par la ligne anglaise, les Français concentrent un feu supérieur et enveloppant sur la position de Wellington. Les plus vieux soldats n’ont jamais assisté à une canonnade soutenue avec tant de furie. Pour se soustraire à cette pluie de boulets, l’infanterie anglaise s’est retirée le long du bord intérieur du plateau. Couchée sur la terre, elle ne pouvait être vue; mais elle n’échappait pas aux boulets qui ricochaient au milieu des colonnes serrées, ni aux obus qui se déchiraient sur le sol. Les artilleurs anglais restent seuls en vue sur le front de l’armée.

De notre côté cependant, l’artillerie se tait, et la première ligne de cavalerie se met en marche et la dépasse. De ces 5,400 cavaliers qui s’avancent au trot, il n’y en a pas un seul qui ne croie aller à une victoire certaine et déjà décidée. C’est pourquoi aucune brigade, aucun détachement ne resta en arrière. Qui pouvait songer à conserver un seul escadron de réserve, quand tous étaient si persuadés qu’il s’agissait de poursuivre l’ennemi et de le ramasser prisonnier? Napoléon, à côté de la route, leur sourit au passage; ils le saluent, comme au défilé d’une revue, de leurs cris enthousiastes, vire l’empereur! et déjà les boulets prussiens commençaient à se croiser sur la route avec les boulets anglais.

Plus loin, Ney reçoit cette cavalerie formée en plusieurs colonnes. C’étaient les cuirassiers de Milhaud, vingt et un escadrons; la cavalerie légère de la garde de Lefebvre-Desnouettes, sept escadrons de lanciers, et douze escadrons de chasseurs, en tout quarante escadrons. Ney se met à leur tête ; il les conduit d’abord dans les bas-fonds, à la gauche de la Haie-Sainte; les lignes en arrière obliquaient à gauche, et le front d’attaque s’étendait ainsi de la route de Charleroi aux clôtures d’Hougoumont, c’est-à-dire contre tout le centre et une partie de la droite des Anglais.