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croyaient n’avoir affaire qu’à des attaques d’infanterie; elles continuent d’avancer sans prendre aucune précaution contre des charges de cavalerie. Il arriva ainsi que la tête et la queue marchaient en sens inverse, la première reculant et la seconde avançant; elles se choquèrent au centre et commencèrent à se briser elles-mêmes.

A la sortie du chemin creux accoururent les dragons anglais; ils se jettent sur les flancs et sur le front de cette infanterie, déjà désorganisée. Ils avaient encore l’avantage du terrain en pente. Leur force fut irrésistible, lorsque, du haut de l’escarpement, ils s’abattirent sur ces masses, qui allaient se pelotonnant au fond de la vallée, sans pouvoir faire usage ni de leurs feux, ni de leurs baïonnettes. L’artillerie ennemie, partout où elle trouva une place pour ses coups, acheva de démolir ces épaisses murailles d’hommes.

Ainsi les quatre divisions du corps de d’Erlon, après d’inutiles efforts de courage, eurent toutes par une même cause un sort pareil. Lorsqu’elles regagnèrent les hauteurs de la ligne française d’où elles étaient parties, ce n’était plus qu’un rassemblement confus; il en partait à peine quelques rares coups de fusil. La cavalerie de Ponsonby, acharnée à la poursuite des quatre divisions, leur prit ou leur tua en peu de temps 5,000 hommes; c’était le tiers de l’infanterie du corps entier. Que serait-il arrivé si les cuirassiers de Milhaud, les lanciers de Jaquinot, à la vue de ce désastre, ne se fussent précipités à leur tour pour en recueillir les débris et châtier l’ennemi? Le général Subervie accourut aussi de sa personne; je lui ai entendu dire que, sans ce prompt secours de nos cavaliers, pas un fantassin n’eût échappé.

La cavalerie anglaise paya cher son triomphe. Elle s’était élancée témérairement jusque sur la grande batterie, ravageant tout comme une nuée de sauterelles[1] ; elle sabrait les canonniers; elle avait déjà désorganisé trente pièces de canon. En un moment, la scène change : les cuirassiers de Milhaud fondent sur les dragons de Ponsonby, les lanciers de Jaquinot sur la cavalerie légère de Vandeleur. L’infanterie de d’Erlon est vengée : un régiment entier de la brigade de Ponsonby est taillé en pièces; ce général tombe mort, percé de sept coups de lance. Ce tourbillon de cavalerie est balayé au-delà du plateau, jusque sur les réserves. C’est dans cette première charge des cuirassiers de Milhaud que les Anglais ont remarqué ce qu’ils appellent la gaieté de cœur de nos soldats, présage certain de la victoire. Nos cavaliers, armés de sabres plus longs, poussent l’ennemi à coups de pointe dans les reins. Ils riaient entre eux de ce facile triomphe.

  1. Relation du colonel Heymès.