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Protectrice antique des chrétiens en Orient, la France semble avoir assuré la victoire à sa vieille cause favorite en obtenant que la montagne tout entière, soit maronite, soit druse, ait un gouverneur chrétien; mais, quand on y regarde de près, la victoire diminue. Je sais bien que, devant l’opposition faite par la France et par la Porte-Ottomane, l’Angleterre a abandonné le plan de lord Dufferin, qu’elle avait adopté ; lord Dufferin a même reçu pour instruction de maintenir la caïmacamie chrétienne et de se borner à l’organisation du Liban. L’Angleterre a donc fui,

Mais en Parthe, en nous perçant le cœur.


Forcé en effet de renoncer à son plan d’une Syrie quasi indépendante, lord Dufferin a proposé de faire du Liban un pachalik chrétien ; peut-être même ce pachalik chrétien est-il une proposition française, car il me semble résulter d’une dépêche de lord Dufferin du 15 décembre 1860 que le commissaire français, M. Béclard, en approuvant le premier plan de lord Dufferin d’une Syrie quasi indépendante, avait demandé en même temps que le Liban, dans ses anciennes limites, formât un pachalik, et que le pacha fût chrétien[1]. Je ne vois pas bien dans les documens anglais, les seuls que j’aie sous les yeux, je ne vois pas bien si le commissaire français subordonnait le pacha chrétien au vice-roi de Syrie de lord Dufferin, ou bien s’il le faisait dépendre de Constantinople et séparait par conséquent le Liban de la Syrie. Quoi qu’il en soit, la proposition du commissaire français semble avoir donné à lord Dufferin l’idée de son pachalik chrétien de Syrie; mais ce pachalik chrétien tel que l’entend lord Dufferin détruit l’indépendance du Liban. Il dénationalise les Maronites et les soustrait au patronage de la France. Écoutons lord Dufferin expliquer lui-même son idée à sir Henri Bulvver dans sa dépêche du 12 décembre 1860. « Maintenir la caïmacamie maronite, c’est, dit-il, perpétuer évidemment la plupart des maux présens, l’antagonisme inévitable d’une secte redoutable contre le gouvernement, et l’anomalie d’un état dans un état, anomalie qui, quoique diminuée, conserve encore sa vitalité incommode. Quoi qu’il en soit, il est impossible de méconnaître tout à fait le passé : il est vrai que les Maronites sont incapables de se gouverner eux-mêmes; mais, quoiqu’ils ne puissent pas pratiquer ce genre de gouvernement, il peut sembler injuste d’abolir les privilèges qui leur sont garantis par l’Europe. Si nous changions le nom de Maronite par le nom de chrétien, beaucoup de difficultés s’évanouiraient, et il deviendrait possible d’éten-

  1. Documens anglais, p. 283, n° 220.