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langue des Syriens. Le Liban sera soumis à la loi générale de la Syrie. Je ne crains pas qu’avec Abd-el-Kader cette loi soit sévère et injuste pour les chrétiens, complaisante et molle pour les musulmans. Quoi! un musulman gouvernera des chrétiens? — En Algérie, les chrétiens gouvernent les musulmans. Partout où il y a un gouvernement respectable et respecté, je pense, comme lord Dufferin, que le principe de la fusion doit l’emporter sur le principe de la séparation, et que les conformités de langue, de mœurs et d’idées doivent l’emporter sur les diversités de croyances.

Avec Abd-el-Kader, tout me plaît dans le système de lord Dufferin, son principe surtout. Ce principe n’est pas celui du partage de l’empire ottoman, principe ambitieux, contraire à la fois au repos de l’Occident, dont il dérange l’équilibre, et à l’intérêt de l’Orient, dont il étouffe l’avenir national. Le système de lord Dufferin se rattache, sans le savoir, à la politique française en Orient, telle que l’exposait M. Guizot en 1839. Il fait pour la Syrie ce que la France en 1840 voulait faire pour l’Egypte, ce que l’Europe a fait pour la Grèce, même avant 1830, ce que l’Europe encore vient de faire récemment pour les principautés danubiennes. Lord Dufferin croit que la Syrie, pourvu qu’elle soit bien gouvernée, a une vitalité qui lui est propre. Il s’empresse donc de dérober cette partie vitale de l’empire ottoman à l’atonie de Constantinople. Soutenir l’empire ottoman en ravivant ses parties, raviver ses parties en les séparant jusqu’à un certain point du centre, qui les vicie, et, si même ce centre vient à mourir, empêcher que ses parties ne meurent avec lui, c’est-à-dire ne tombent au pouvoir de voisins cupides, créer des états nouveaux et indigènes au lieu d’encourager les annexions ambitieuses, telle est la seule politique raisonnable et hardie en Orient, hardie au profit de la civilisation au lieu de l’être au profit de l’esprit de conquête. On pouvait, je le crois, reconnaître la parenté qu’a le système de lord Dufferin avec cette politique, on pouvait même caractériser vivement cette parenté par le choix d’Abd-el-Kader pour vice-roi de Syrie. Je sais bien que la Porte-Ottomane aurait rejeté plus énergiquement encore le système de lord Dufferin personnifié dans Abd-el-Kader; puisqu’il lui a été suspect dès le premier jour, même avec Fuad-Pacha, il lui aurait été redoutable et odieux avec Abd-el-Kader; mais ce système, dût-il même ne pas être adopté aussitôt par l’Europe, aurait eu l’avantage de n’être rejeté que par la Porte-Ottomane, qui le recommandait par son refus même, au lieu d’avoir le malheur d’être repoussé à la fois par la Turquie comme anti-ottoman et par la France comme anti-chrétien. Selon moi, il ne méritait que le premier reproche.

Les préventions politiques, qui s’appellent souvent des traditions,