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reste polie envers l’Angleterre. « Le plan en question, dit Aali-Pacha dans sa dépêche du 20 janvier 1861, ne tend à rien moins qu’à ériger une nouvelle principauté quasi indépendante, soumise à la direction d’une commission européenne, en d’autres termes à séparer la Syrie de la domination ottomane. — Vous concevrez facilement combien le gouvernement de sa majesté impériale serait désolé, si par malheur le cabinet de sa majesté britannique, après avoir pris en sérieuse considération la position désastreuse qu’une telle combinaison créerait et à l’ensemble de l’empire et à la Syrie elle-même, ne revenait pas sur sa première impression; ce principe de l’intégrité de l’empire ottoman, si énergiquement, et, je puis le dire, si efficacement défendu par l’Angleterre, recevrait une nouvelle atteinte dans une de ses plus importantes parties. — Sans doute les malheurs qui ont frappé les populations du mont Liban et de Damas sont immenses ; le cœur paternel de notre auguste souverain a été le premier à s’affliger des horreurs dont ces pays ont été le théâtre. — La Grande-Bretagne a eu aussi, il n’y a pas longtemps, des désastres pareils à déplorer et à réprimer dans ses possessions de l’Inde-Orientale. Personne n’a songé à accuser l’administration anglaise de négligence ou d’incapacité. Comme nous, elle a été surprise par les événemens, et comme nous elle a rempli son devoir en infligeant des punitions sévères aux auteurs des forfaits commis[1]. »

Que dites-vous de cette désobligeante et absurde allusion aux massacres de l’Inde? Où est la ressemblance entre la guerre de l’Inde et les odieux attentats de la Syrie et du Liban, si ce n’est que dans l’Inde, comme dans la Syrie, c’est le fanatisme mahométan qui a fait tout le mal, que dans l’Inde les Anglais ont été les victimes de ce fanatisme, et qu’en Syrie les Turcs en ont été les instigateurs?

Nous venons de voir avec quelle vivacité la Porte-Ottomane repoussait le plan de lord Dufferin, qu’avait approuvé le gouvernement anglais dans deux dépêches de lord John Russell, en date du 22 et du 23 novembre 1860[2]. La France repoussa aussi ce plan. Devant cette double répugnance, l’Angleterre céda, sans beaucoup se faire prier et comme si elle ne tenait pas vivement au plan qu’elle avait d’abord approuvé. Elle ne se souciait fortement que d’une seule chose, la plus prompte évacuation possible de la Syrie par les

  1. Documens anglais, p. 368 et 369, n° 285.
  2. Ibid., p. 223 et 224, n° 186 et 188. Dans la dépêche du 22 novembre, adressée à sir H. Bulwer, n° 185, lord John Russell lui donne pour instruction « de dire au grand-vizir qu’il n’y a pas de plan de pacification de la Syrie qui puisse réussir tant que le pachalik de Syrie sera adjugé au plus haut enchérisseur, comme l’a si bien expliqué lord Dufferin. »