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chalik étranger dont il ne fallait chercher qu’à tirer le meilleur profit possible; aussi était-il pour ainsi dire mis aux enchères. Celui qui donnait le plus était nommé pacha, et ce pacha ne songeait naturellement dans son administration qu’à se rembourser de ses avances et à s’enrichir. La Porte-Ottomane, ayant intérêt à renouveler souvent le bail de la province, ne laissait ordinairement ses pachas en fonctions que pendant deux ans. Il fallait donc qu’en deux ans le gouverneur retrouvât son capital et fît fortune. De là d’intolérables et inévitables exactions, de là une suite de gouverneurs incapables et rapaces, et profondément insoucians de l’intérêt public[1]

Une autre cause de faiblesse est l’isolement stratégique de la Syrie. Comme la Porte-Ottomane est très pauvre, elle ne peut pas entretenir dans ses différens pachaliks un nombre convenable de troupes; aussi, quand des troubles s’élèvent dans une proyince et qu’il faut y envoyer des troupes, on prend sur une province pour fournir aux besoins de l’autre. L’affaire finie, les troupes retournent dans leur garnison; « mais la Syrie étant fort éloignée, quand elle envoie ses troupes dans quelque pachalik troublé, elle est longtemps sans les recouvrer, et c’est dans un de ces momens où la Syrie était dégarnie de troupes qu’ont eu lieu les derniers massacres[2]. »

Il y a une troisième cause enfin qui en Syrie gêne singulièrement l’action de l’autorité turque, c’est l’ignorance totale où sont tous les fonctionnaires turcs du langage, des mœurs et des idées de ceux qu’ils sont appelés à gouverner. « Chaque nouveau pacha amène à sa suite une bande d’agens tous également étrangers au pays, et qui sont tous obligés de se remettre aux mains des intrigans du pays[3]. »

.le ne veux pas commenter longuement l’exposition que lord Dufferin fait de l’état de la Syrie et de ses causes; mais qui donc a jamais représenté plus vivement la condition déplorable des provinces de l’empire ottoman ? Un pacha qui a pris à bail son pachalik et qui ne songe qu’à gagner sur son bail, les provinces de l’empire turc se prêtant mutuellement leurs troupes pour maintenir l’ordre à mesure qu’il se dérange, chaque province dégarnie à son tour et pouvant être prise au dépourvu par quelque insurrection fanatique, enfin la Syrie condamnée à être gouvernée par des fonctionnaires qui ne connaissent ni sa langue, ni ses mœurs, ni ses idées; voilà, selon le plus important des témoins anglais, l’état des choses en Syrie. Quel est le pays du monde qui pourrait résister à de pareilles causes de désorganisation?

  1. Documens anglais, p. 209.
  2. Ibid., p. 209.
  3. Ibid., p. 209.