Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/269

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prit, et il en avait beaucoup, à combattre cette haine du sultan ; mais il se trouvait que lord Ponsonby détestait aussi très vivement le pacha d’Egypte, et lord Ponsonby se donnait sur ce point bien des satisfactions de tempérament dans ses conversations avec la Porte-Ottomane. Le ministère français se plaignait avec raison que le cabinet anglais fût à Londres très pacifique, et qu’à Constantinople le ministre anglais fût très belliqueux. Notre chargé d’affaires à Londres, M. le baron de Bourqueney, relevait avec exactitude toutes ces contradictions de langage entre Londres et Constantinople, entre le cabinet et l’ambassadeur anglais, et il remarquait avec justesse que dans tout autre pays, pour pareille contradiction, un ambassadeur serait révoqué; mais « ici, disait-il, les choses se passent autrement. Les affaires extérieures ne passent qu’après les influences intérieures[1]. » Je crois qu’il doit en être ainsi dans les sociétés aristocratiques, où les hommes pèsent encore du poids de leurs personnes à côté des circonstances; mais de plus cette liberté d’action que prenait lord Ponsonby était conforme à la tradition de la diplomatie anglaise, et j’ajoute que l’Angleterre, après tout, n’y a rien perdu. Quoique l’individu ait gardé en Angleterre l’habitude d’être quelqu’un et d’avoir partout sa part d’action, je ne vois pas que l’état anglais ait pour cela moins de force et moins de grandeur.

« Quoique la Syrie, dit lord Dufferin dans la lettre où il expose son plan, soit habitée par plusieurs races distinctes et étrangères à la civilisation, et quoique ces races se partagent en plusieurs sectes fanatiques, cependant le gouvernement du pays ne semble pas être la plus grande difficulté. Toutes les populations de la Syrie ont l’instinct de la soumission envers l’autorité supérieure. Il y a, il est vrai, plusieurs tribus inquiètes et sauvages, mais il n’y a que les Druses qui aient vraiment l’esprit d’indépendance. Les Maronites sont insolens avec les faibles, mais ils sont serviles avec ceux qu’ils craignent, et la masse des paysans est industrieuse, patiente et soumise. La seule chose nécessaire pour assurer la tranquillité publique est de constituer un gouvernement assez fort pour se faire respecter. S’il est dépourvu de cette qualité essentielle, ce qu’il y a dans le pays d’élémens de discorde suffit pour établir une confusion infinie[2]. » Lord Dufferin cherche quelles sont les causes qui ont jusqu’ici affaibli l’autorité de l’administration turque en Syrie. Il ne parle pas des causes de faiblesse inséparables des institutions musulmanes, et qui sont communes à toutes les provinces de l’empire; il s’attache seulement à celles qui sont particulièrement propres à la Syrie. « Cette province était considérée comme une sorte de pa-

  1. Mémoires de M. Guizot, p. 506.
  2. Documens anglais, p. 208, n° 182.