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a fait qu’ils en prennent encore un peu moins qu’on ne leur en donne. L’esprit de centralisation règne dans la diplomatie française comme dans toute notre administration. L’état est tout; l’individu n’est rien, ou apprend à le devenir. Nous avons bien eu et nous avons encore dans la diplomatie des hommes qui aiment à agir par eux-mêmes; mais l’opinion vulgaire a trouvé un nom pour les discréditer : elle les appelle des faiseurs, ce qui est un nom d’anathème, et d’anathème tout français. Ailleurs que dans la patrie prédestinée de la consigne et du mot d’ordre, personne ne s’aviserait d’appeler faiseurs les gens qui veulent être utiles à leur pays. Ayant à la fois les deux genres d’esprit les plus contraires, l’esprit d’utopie et l’esprit de routine, nous employons l’un dans les livres, où il n’a pas de contre-poids, et l’autre dans l’administration, où il n’a pas d’aiguillon. Jamais en Angleterre un consul ou un agent ne sera tenté de s’effacer et d’attendre le télégraphe pour avoir un avis. Le diplomate anglais a beaucoup d’initiative, parce qu’il a une grande liberté d’action. Anglais partout et avant tout, il songe à faire prévaloir l’intérêt et l’influence de son pays; mais il a sur ce point son plan et son système, qu’il communique à son gouvernement, dont celui-ci tient grand compte, et dont il ne songe jamais surtout à faire un tort à son agent. La diplomatie anglaise ne se fait pas seulement à Londres, comme la nôtre à Paris; elle se fait partout, sur les lieux, d’après les occurrences et selon le caractère des diplomates anglais. S’il y a dans ce système moins d’unité, il y a plus d’activité, plus d’action. La France ne tient pas assurément moins de place dans le monde que l’Angleterre ; mais la diplomatie française est en général à l’étranger, moins agissante, moins décisive, plus discrète que la diplomatie anglaise. Un diplomate anglais ne se soucie pas beaucoup de deviner l’opinion de son gouvernement pour s’y conformer d’avance. Comme il a sur les questions du jour son opinion personnelle, il la défend, même au besoin contre son gouvernement, et ne craint pas de le contrarier, s’il croit que l’intérêt de l’Angleterre le demande. Je suis bien persuadé que la diplomatie française sait risquer aussi au besoin cette inconvenance administrative; cependant elle ne s’y décide qu’à la dernière extrémité.

Il y a dans ce curieux quatrième volume des Mémoires de M. Guizot, auxquels j’ai déjà fait beaucoup d’emprunts, un notable exemple de cette liberté d’action que l’Angleterre laisse à ses diplomates, et qui étonne un peu les nôtres. En 1839, l’Angleterre à Constantinople prêchait la paix avec l’Egypte au sultan Mahmoud, qui détestait Méhémet-Ali plus que quoi que ce soit au monde, et qui disait publiquement qu’il donnerait volontiers son empire à qui lui apporterait la tête du pacha d’Egypte. Il aurait fallu que lord Ponsonby, alors ambassadeur d’Angleterre à Constantinople, employât tout son es-