Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/248

Cette page a été validée par deux contributeurs.

pension indéfinie du commerce pour les états du sud, c’est par conséquent le coton retenu en Amérique et l’Europe en disette de la matière première principale de son industrie. La France et l’Angleterre peuvent-elles s’exposer à une crise industrielle qui prendrait les proportions d’une crise sociale pour attendre que les états du nord rétablissent à loisir la constitution fédérale dans le sud ? Les réserves de coton dont dispose l’Europe ne sont évaluées qu’à une quantité suffisante pour défrayer une consommation de cinq ou six mois. Le temps presse donc. il est impossible qu’on ne le sente pas aux États-Unis, et c’est encore sur l’évidence de la nécessité d’une prompte solution exigée par les intérêts de l’Europe que se fondent ceux qui comptent sur un dénoûment prochain et brusque de la guerre civile. Pour notre part, nous n’aurons pas la présomption de prédire, sur ce point pas plus que sur d’autres, que c’est la logique qui aura raison.

Ce n’est pas la faute des inintelligens ennemis de l’Italie renaissante, si à ses débuts elle ne trouve pas, elle aussi, dans les provinces de Naples, sa Pologne, son Irlande, sa Hongrie. Incurable mauvaise foi de l’esprit rétrograde, qui transforme en héros d’une nationalité indépendante des voleurs de grand chemin, des soldats débandés qui fuyaient, il y a un an, devant quelques poignées de volontaires, des paysans entraînés par de tristes cupidités de spoliation agraire. Et ce sont des conservateurs qui se félicitent de la durée de ces désordres ! M. le baron Ricasoli a noblement réfuté dans son manifeste ces exagérations malsaines ; il a établi les différences qui interdisent d’assimiler le brigandage napolitain aux luttes malheureuses, mais héroïques, qui ont accompagné en d’autres temps et en d’autres pays des transformations politiques nécessaires. Quoi d’étonnant si le nouveau royaume n’a pas pu étouffer en un jour ces désordres ? Quoi de surprenant si la présence du roi François II à Rome, si la prolongation même du pouvoir temporel que conserve nominalement la papauté, ont encouragé les malfaiteurs des provinces napolitaines et ont augmenté les difficultés du gouvernement italien ? Il n’était pas même nécessaire, pour que de tels effets fussent produits, que des excitations et des subsides fussent envoyés de Rome à cette insurrection de pillards. Nous nous permettrons, sur ce point, de rectifier une des assertions du baron Ricasoli. Certes nous ne sommes pas suspects de partialité en faveur de la cour de Rome : nous n’avons pas à nous louer du traitement qu’elle a infligé au dernier numéro de la Revue pour un article où nous nous étions imposé comme un devoir la modération la plus attentive ; cependant nous ne serons pas injustes envers la cour de Rome, et nous dirons simplement que c’est à tort qu’elle est accusée par M. Ricasoli de fomenter les expéditions qui ont été lancées sur les provinces napolitaines. Nous croyons savoir que le cardinal Antonelli voit avec une répugnance sincère les bandes formées sur le territoire romain, et qu’il transmet assez volontiers à nos autorités militaires les renseignemens que sa police lui apporte sur ces tristes entreprises. Au surplus, l’échafaudage que l’on a bâti sur les désordres napolitains ne tardera point à s’écrouler.