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restera que le souvenir assez piquant d’une théorie de la restauration définitivement renversée par la révolution de 1830, et qui, malgré cet échec, a eu la bonne fortune d’errer un instant en 1861 sur les lèvres du président du corps législatif de l’empire.

Nous avons dit notre pensée sur une des raisons qui empêcheront peut-être les nationalités souffrantes de l’Europe orientale d’entrer en arrangement avec leurs gouvernemens ; mais l’irritation de ces peuples a des causes particulières, nous le reconnaissons, dont il n’est point au pouvoir d’étrangers bienveillans d’atténuer les effets. Nous entendons parler ici de la Hongrie et de la Pologne. Le spectacle de ce qui se passe dans ces deux pays suggère plusieurs réflexions générales et des conclusions qui devraient être acquises à l’expérience des gouvernemens civilisés. En voyant l’énergie patiente avec laquelle les sentimens nationaux se manifestent dans la Pologne et la Hongrie, on est frappé de l’impuissance, par conséquent de l’inutilité, ou pour mieux dire du danger funeste des systèmes de compression. La Pologne pendant trente ans, la Hongrie pendant douze ans, ont été soumises à la plus écrasante tyrannie. Les manifestations de la pensée étaient étouffées chez ces deux peuples. On ne laissait pas sortir un mot qui pût trahir ce qui se passait dans leur cœur. Pendant ces longues années, les sectateurs du principe d’autorité, les pédans et les frivoles, ont eu de quoi triompher. Le bâillon y mettant bon ordre, voilà des peuples dont on n’entendait pas le moindre soupir. Y a-t-il encore une Hongrie ? y a-t-il eu une Pologne ? Le despotisme avait pu par momens croire qu’il avait achevé son œuvre. Quelque chose est déplacé en Europe : un choc extérieur atteint les gouvernemens oppresseurs, et voilà que les deux peuples reparaissent, affaiblis matériellement par une longue infortune, mais moralement trempés par l’éducation de la douleur et doués d’une vitalité opiniâtre. Ainsi l’on a tout employé, la soldatesque lancée contre les foules, les supplices, les proscriptions, les prisons, l’exil, tout l’art de la police à intercepter l’électricité de la pensée humaine, et l’on s’aperçoit que l’on n’a rien fait, que l’on n’a pas déraciné un juste grief, que l’on n’a pas détruit un souvenir ou une espérance ; on se retrouve en présence de la même Pologne et de la même Hongrie que l’on avait voulu altérer, disloquer, défigurer par la force. Ne peut-on pas demander, devant ces miracles de résurrection, à quoi servent donc les résistances et les compressions implacables des gouvernemens ? La faiblesse, la vanité du pouvoir absolu, n’éclatent-elles point dans de tels faits ? N’est-il pas visible que tout pouvoir despotique est atteint, malgré l’apparence et l’ostentation de la force, d’une incurable débilité ? Ne sera-t-il pas démontré enfin que c’est une inepte insolence que de vouloir gouverner les peuples sans leur participation et contre leur volonté, et qu’il n’y a d’états forts que ceux où le pouvoir est l’émanation continue et sincère de l’opinion publique ?

C’est surtout la Russie et l’Autriche, pour lesquelles la leçon de l’expérience est toute fraîche, qui en devraient faire leur profit dans les difficiles