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caine ? D’où est venue à ces planteurs et à ces négocians la singulière vanité de se faire zouaves, et qui dira quelle part on doit faire à cette vanité parmi les causes de la guerre civile ?

La France n’a pas le seul privilége d’inspirer aux autres une rage d’imitation : elle fait trembler ses voisins. Ce sentiment d’appréhension qu’elle inspire varie, il faut le reconnaître, suivant la forme qu’elle donne à son gouvernement. On ne ressent cette terreur maladive à notre endroit que lorsqu’on nous croit capables d’employer à l’improviste notre force d’agression. On se défie surtout de nous quand on suppose que nous pouvons avoir une politique secrète, et lorsque la nature de nos institutions n’amène pas le grand jour de la publicité et de la discussion sur nos desseins et sur nos mouvemens. Or quels sont les effets de cette défiance timorée qui s’attache à nous, et dont il faut bien reconnaître la réalité, quelque injuste ou puérile qu’elle puisse parfois nous paraître ? Ces effets sont graves au point de vue politique, au point de vue économique, au point de vue du progrès social des diverses nations. La sagesse la plus ordinaire indique que les relations internationales sont exposées à d’incessans dangers, lorsqu’elles sont corrompues par le soupçon et par la crainte. L’observation la moins attentive nous montre dans les budgets de tous les états l’enflure funeste des dépenses militaires, dépenses destructives des capitaux qu’elles absorbent, et dont l’exagération enlève chaque année des sommes considérables au capital général, au véritable fonds commun qui fait vivre et qui remunère le travail. Tout ce qui est donné par surcroît, en fait d’application intellectuelle, d’énergie morale et de capitaux, aux préoccupations militaires étant un détournement opéré au préjudice des grands facteurs du travail, on voit quelle doit être la conséquence au point de vue social. Le mouvement par lequel s’élèvent les classes inférieures de l’humanité est au moins ralenti, s’il n’est même exposé à s’arrêter. Mais quelle que soit l’importance de ces conséquences, nous n’avons point en ce moment l’intention de les analyser ; nous nous bornerons aujourd’hui à en signaler une seule, qui se rapporte plus particulièrement à l’état présent de l’Europe.

À l’exception des nations occidentales, toute l’Europe est travaillée par ce que l’on appelle la question des nationalités. Nous ne sommes point disposés, on le sait de reste, à déprécier la question des nationalités, à traiter dédaigneusement les griefs et les plaintes des peuples qui ne sont point en possession de leurs droits légitimes. Il y a deux moyens possibles de résoudre les questions de nationalité : l’esprit de transaction ou la force. Pour notre compte, nous préférons hautement le moyen des transactions à l’emploi de la force. Les transactions seules font les conquêtes solides. La force au contraire est une arme qui se retourne toujours en définitive contre les nationalités. La raison en est simple : le recours à la violence entraîne des guerres générales ; la guerre place dans la délimitation des états les raisons stratégiques au-dessus de toutes les autres considérations. L’on aura beau faire : après une guerre générale provoquée par les questions de nationa-