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leur propre lenteur de réparer la nôtre. La balance penche toujours de notre côté. La journée du 16 commence, et l’on est précisément dans la saison où les jours sont les plus longs de l’année. Le soleil se lève à deux heures et demie. C’est le mois des batailles. Napoléon le sait mieux que personne. On reverra, ce jour-là, les prodiges d’activité, de vigilance, de décision, qui ont fait la fortune des campagnes heureuses.

Déjà les Prussiens à sa droite, entraînés par leur ardeur, viennent se placer témérairement au-devant de ses coups. Ils se concentrent au-delà de Fleurus, à deux lieues de ses avant-postes. Loin de se dérober, comme il avait pu le craindre, ils attendent, ils appellent, ils provoquent la bataille, seuls, sans leurs alliés ; car, bien qu’ils comptent sur cette coopération, il est certain qu’elle va leur manquer, et l’on peut compter sur Ney pour l’empêcher aux Quatre-Bras. Napoléon, avec la droite de l’armée, a donc une journée entière pour profiter de cette fortune inespérée ; mais il faut, sans balancer, la saisir comme une faveur, car qui peut assurer qu’elle se retrouvera, et que les deux armées prussienne et anglaise, dont toute la pensée est de se réunir, n’y parviendront pas dès le lendemain ? Il faut donc que chaque heure de cette journée soit pleine, surtout que la bataille commence dès que les armées pourront être en présence, afin qu’on ait le temps, non-seulement de vaincre (chose dont personne ne doute), mais de tirer tous les avantages de la victoire. Et cela ne sera possible qu’à la condition de ne pas donner à l’ennemi les premières heures de la nuit pour se refaire, se reconnaître, se rallier, peut-être même pour se dérober.

Par malheur Napoléon hésite encore à croire à tant de témérité de la part des Prussiens. Comment penser qu’ils osent seuls le provoquer ? Cette idée était si loin de lui, qu’il crut inutile de se hâter. Chose inexplicable autrement, c’est seulement à dix heures du matin, et sans aucune précipitation, qu’il quitta son quartier-général de Charleroi. Il s’avança vers Fleurus pour s’éclairer, par ses propres yeux, sur la situation des choses. C’était le moment même où le duc de Wellington avait joint le maréchal Blücher, sur les hauteurs, près du moulin de Bussy. De là les deux généraux ennemis auraient pu voir Napoléon, qui observait, de son côté, les mouvemens de concentration de l’armée prussienne. Jusqu’à cet instant, le duc de Wellington s’était obstiné à croire qu’il était seul menacé. Le témoignage de ses yeux, la campagne pleine d’ennemis, la position des masses françaises, purent seuls le convaincre que l’orage se tournait contre les Prussiens, tant une première idée entrée dans l’esprit d’un général résiste longtemps même à l’évidence. Il n’y avait plus moyen d’en douter, un grand choc se préparait ; le duc de Wellington promet au maréchal Blücher le concours de l’armée