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garder comme des phénomènes de l’ordre purement matériel. Dans l’animisme de Stahl, les phénomènes organiques ne sont point, il est vrai, rapportés au corps, et en ce sens Stahl s’éloigne du matérialisme ; mais au lieu d’être rapportés à l’âme pensante et ayant conscience de ses opérations, ils le sont à l’âme non pensante, agissant sans volonté, sans idées, ou du moins sans la conscience de cette volonté et de ces idées. Ce contraste entre les opérations conscientes et inconscientes d’un agent unique a frappé beaucoup d’esprits, et la théorie qui porte le nom de vitalisme n’a d’autre objet que de l’effacer et d’attribuer à des agens séparés ces opérations différentes : sont-elles pourtant de nature à faire admettre une force double, pour expliquer d’une part ce qui se rattache à l’organisation proprement dite, de l’autre ce qui sort de l’âme pensante ? Cela peut sembler d’autant plus douteux que la conscience nous abandonne et nous fait défaut non-seulement dans l’accomplissement de certains actes organiques, mais encore au milieu même de la pensée. Celle-ci nous entraîne souvent, nous assujettit, nous enlève dans de nouveaux cercles, sans que nous opposions, comme individus consciens, aucune résistance. Quelque chose nous réveille tout d’un coup, comme au milieu d’un rêve, et ce n’est qu’alors, par une réaction subite, que nous faisons un retour sur le chemin que nous avons parcouru, et que notre pensée se manifeste à la conscience. Or, si l’âme cessait d’être l’âme dans les momens où elle cesse d’avoir conscience d’elle-même, à quel guide serions-nous donc livrés quand nous suivons le vol capricieux de certaines idées que notre mémoire associe confusément et sans règle apparente ? Qui n’a subi l’oppression d’une pensée qu’il n’avait point appelée, et qui se dressait sans cesse en face de la volonté rebelle ? Qui n’a éprouvé des pressentimens et ne s’est senti frappé par l’aiguillon d’une idée complétement imprévue ? Qui n’a, en descendant dans les cercles de son être intérieur, pénétré jusqu’à des pensées, des images, des combinaisons, des espérances qui, un moment après, révélées à la conscience, l’ont remplie de trouble et quelquefois de honte ? Il y a donc dans l’âme elle-même, dans ses opérations purement idéales, quelque chose d’inconscient, de fatal, une part soustraite à la liberté, à la raison. C’est donc à tort qu’on invoque le phénomène de la conscience pour dédoubler l’être intérieur en deux et distinguer l’âme du principe vital.

C’est pourtant ce qu’ont fait tous les vitalistes depuis Barthez jusqu’à nos jours : aussi leurs théories sont-elles moins intéressantes au point de vue des rapports de l’âme avec un principe vital hypothétique qu’au point de vue de la physiologie proprement dite. Médecins pour la plupart, les vitalistes ont cependant montré que l’explication des phénomènes de l’être vivant demeure incomplète