Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/207

Cette page a été validée par deux contributeurs.

dence de son malheur, et que des recherches sont faites : aucun indice ne vient trahir le voleur. Le reste d’énergie que l’amour de l’or entretenait chez Marner a disparu avec ses écus ; son existence est désormais sans but, et un sombre désespoir s’empare de lui. Cependant il n’est plus aussi seul : le malheur qui lui est arrivé, en livrant le secret de son existence, en mettant fin à la croyance de ses relations avec le démon, a fait tomber la crainte superstitieuse dont il était l’objet ; cet être faible et timide n’inspire plus que la compassion : on se hasarde à le visiter, à lui offrir des consolations, à lui donner le conseil de se rapprocher de ses semblables et de visiter Dieu dans son temple. Vienne maintenant l’ange consolateur qui ranimera ce cœur desséché et le rouvrira à l’amour des hommes : le terrain sera tout préparé autour de lui, et les premières avances de Silas à ses voisins trouveront un accueil empressé. Cet ange de miséricorde, c’est un enfant, c’est une petite fille de deux ans à peine. Des paysans narquois ont dit au tisserand qu’il ferait bien de guetter le son des cloches la nuit de Noël, parce que son or pourrait bien revenir avec leur joyeux tintement. Le pauvre homme a pris le conseil au sérieux : il a passé la soirée sur sa porte malgré la neige qui tombe en abondance, et quand, saisi par le froid, il veut rentrer chez lui, il est pris d’un de ses accès de catalepsie.


« Quand Marner revint à lui, il continua l’acte dans l’accomplissement duquel il avait été arrêté ; il referma sa porte sans se douter de l’interruption qu’avait éprouvée sa pensée et sans avoir conscience d’aucun événement intermédiaire, sinon qu’il était nuit noire et qu’il avait froid et faim. Il crut être demeuré trop longtemps à la porte. Il alla vers la cheminée, où les deux bûches s’étaient écartées l’une de l’autre et ne jetaient plus qu’une faible lueur rougeâtre ; il s’assit au coin du feu, et il se baissait pour rapprocher les tisons, quand ses yeux affaiblis crurent apercevoir de l’or répandu à terre devant le foyer. De l’or ! son or, rapporté aussi mystérieusement qu’il lui avait été enlevé ! Le cœur lui battit violemment, et pendant quelques instans il fut hors d’état d’allonger la main pour saisir le trésor qui lui était rendu. Le tas d’or semblait reluire et s’agrandir sous son regard inquiet. Il se pencha pourtant et étendit la main ; mais, au lieu du métal poli aux contours résistans, ses doigts rencontrèrent des boucles souples et tièdes. Confondu d’étonnement, Silas se mit à genoux et baissa la tête pour voir de plus près cette merveille : c’était un enfant endormi, un gros et bel enfant à la tête couverte de soyeuses boucles d’or. Comment cet enfant était-il venu là à son insu, puisque lui-même n’avait pas mis le pied dehors ? »


D’où vient en effet cet enfant que le ciel envoie à Marner pour remplacer le trésor qui lui a été dérobé ? Godfrey Cass, le fils aîné du principal propriétaire de Raveloe, a épousé, dans l’entraînement