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diquées plus haut. Les ouvrières s’occupent ensuite à assortir les feuilles en cahiers et les cahiers en rames. D’autres travaillent à glacer le papier en le pressant sous des lames de métal. Elles gagnent de 10 à 11 shillings par semaine. Dans cette salle, on peut se faire une idée des caractères de la fabrication anglaise, car le Phénix produit par semaine vingt-cinq tonnes de papier blanc, presque tout de belle qualité. Sans parler des trois grandes divisions qui se rencontrent dans toutes les manufactures du monde, le papier à imprimer, le papier à écrire et le papier d’emballage, les papeteries anglaises étalent en outre dans chaque genre une grande variété de produits, auxquels on donne quelquefois les noms les plus extraordinaires. L’origine de ces noms, qui ont beaucoup exercé la science des antiquaires, se retrouve le plus souvent dans les anciennes marques de fabrique. Ces marques, assez improprement appelées marques d’eau (water marks), étaient autrefois imprimées dans la pâte du papier par le moule, comme elles le sont aujourd’hui par un des rouleaux de la machine qu’on désigne sous l’épithète de dandy roller (beau monsieur). Seulement, au lieu d’écrire dans la substance de la feuille le nom du fabricant ou du marchand de papier, on y gravait autrefois son enseigne. Quelques-uns de ces anciens papiers ont fait époque et ont servi de prototype, pour le format ou pour la qualité, à des feuilles qui se fabriquent encore plus ou moins sur le même modèle. La marque primitive a disparu avec le temps, mais le nom auquel cette marque correspondait est resté. C’est ainsi qu’un des beaux papiers à écrire, le foolscap (bonnet de fou), portait en effet à l’origine une tête de fou de cour avec son bonnet traditionnel et ses grelots. Un autre papier anglais, post paper (papier de poste), doit son nom à une corne qui se montrait dans la transparence de la feuille, parce que les anciens facteurs, postmen, avaient coutume de porter sur eux une corne dans laquelle ils soufflaient pour annoncer leur arrivée aux habitans des maisons. Notre expression une main de papier paraît elle-même n’avoir point eu d’autre origine, car on retrouve parmi les anciennes marques celle d’un papier célèbre, qui était en usage dès 1530, et que les Anglais, — faisant allusion, non comme nous à la quantité, mais bien à la qualité, — désignent encore sous le nom de hand paper. Cette marque représentait une main étendue et surmontée d’une étoile. Je ne veux point dire que le Phénix produise toutes les variétés du papier anglais, car chaque fabrique s’attache plus ou moins à une spécialité, mais il en produit du moins un très grand nombre. Quand tout ce papier a été pressé, trié, assorti, lustré, coupé, on le met en paquet et on le presse de nouveau sous une machine dont la puissance est extraordinaire. Il ne reste plus maintenant qu’à l’envoyer chez les marchands ou les papetiers en gros.