Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/167

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son tombeau et celui de sa femme. Une inscription sur laquelle ses titres à la reconnaissance des Anglais sont brièvement indiqués ne laisse aucun doute quant à la vérité de la tradition historique.

Tout près de la station du chemin de fer s’élèvent, dans la ville de Dartford, les bâtimens d’une vaste fabrique de papier connue sous le nom de Phenix. À ses pieds, je retrouvai la Darent, qui commence à changer de nom ; elle s’appelle maintenant la Crique (Dartford-Kreek). La vérité est qu’elle va passer à une nouvelle phase d’existence. Jusqu’ici elle n’était point navigable ; à partir de ce moment, elle porte des bateaux assez considérables, tout en courant à travers les marais vers la Tamise, où elle se jette. En face du Phenix, elle se déploie en un lac tranquille et charmant. Si j’appelle l’attention sur cette petite rivière, c’est que les cours d’eau sont l’âme des moulins à papier. Non-seulement ils servent à transporter le chiffon et à faire tourner les roues, mais encore ils exercent une influence sur la qualité des produits. Le Kent a la réputation de fabriquer le meilleur papier à écrire, et l’on attribue cette circonstance à la pureté des eaux, qui coulent sur un sol de sable et de craie. Ailleurs les rivières contiennent trop souvent des particules de fer qui déposent des taches brunes sur la blancheur immaculée des feuilles. La difficulté était pour moi de pénétrer dans la fabrique. Depuis le traité de commerce avec la France et surtout depuis la suppression du droit sur le papier, repeal of the paper duty, cette industrie est devenue excessivement ombrageuse vis-à-vis des étrangers. Les fabricans de papier anglais se figurent que nous voulons leur voler leurs secrets. Prévoyant des obstacles, je demandai à parler au contre-maître. C’était un homme d’une soixantaine d’années, à la figure honnête et intelligente. Il m’opposa bien quelques difficultés, mais il céda presque aussitôt par deux raisons : la première est que, vivant dans le Kent, j’étais presque un voisin ; la seconde, que je n’avais pas l’air d’appartenir à l’industrie du papier. Cela dit, il chargea son fils de me conduire. J’avais visité ailleurs, notamment en France et en Belgique, des fabriques de papier, je connaissais déjà la plupart des procédés de cette industrie ; mais, dès les premiers pas dans l’intérieur du Phenix, je fus frappé d’un caractère de grandeur qui n’existe guère que dans les paper mills de l’Angleterre. Cette grandeur éclate dans les bâtimens, dans les machines et dans la distribution du travail. La puissance des capitaux engagés sous toutes les formes dans ces sortes de manufactures défie et défiera encore longtemps la concurrence étrangère.

Voulant prendre à la source le travail de la fabrication du papier, nous entrâmes d’abord dans une grande salle éclairée par plusieurs fenêtres, où, au milieu d’un épais nuage de poussière, des jeunes filles étaient occupées à couper des chiffons. Là je retrouvai mes